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Nolwenn Febvre
Il y avait quand même ce côté qui me dérangeait de se dire « Les enfants pleurent, c'est une fatalité. » Je trouvais ça dingue. Je me suis dit « C'est pas possible, on peut pas faire ça, on peut pas travailler comme ça. » Ça m'allait pas, donc j'arrive pas à me dire « Ça me va pas, mais je fais rien. » Voilà, j'ai envoyé le mail. En fait, tu t'es.
Fouad Souak
En fait, tu t'es transformée quand même en chef d'entreprise avec tout ça.
Nolwenn Febvre
Ouai c’est vrai que ça a dérapé à un moment.
Fouad Souak
À partir de quand ça a dérapé ?
Nolwenn Febvre
Du mail envoyé, je pense. Je me suis dit « Mon métier a changé ce jour- là quand même. Voilà.
Nouveaux récits.
Fouad Souak
Nous avons toutes et tous une histoire à raconter, une cause à défendre, une voix à faire entendre. Je suis Fouad Souak et Nouveaux Récits est un podcast produit par Parole publique.
Fouad Souak
C'est vachement difficile de t'avoir, je ne sais pas. T’as un agenda de ministre, c'est incroyable.
Nolwenn Febvre
Un petit peu. Oui, les journées font 24 heures, mais c'est sûr que j'aimerais bien qu'elle fasse un peu plus, mais souvent, j'optimise bien les 24. Tu vois, en ayant la chance de travailler à l'hôpital et de travailler parfois la nuit, le week- end, tout ça, j'optimise bien. J'étais de garde dimanche soir et j'ai enchaîné lundi.
Fouad Souak
Ça veut dire que tu es de garde, puis après tu enchaînes, tu ne fais même pas la sieste ?
Nolwenn Febvre
Non.
Fouad Souak
Tu es hyper active ?
Nolwenn Febvre
Oui, oui. Après, je n'ai pas besoin de beaucoup dormir et j'ai un sommeil quand il faut, réparateur. C'est sûr, je pense. Parce que la soirée de garde, hier, on m'a dit « Mais on ne dirait pas que tu as dormi deux heures et voilà. Hier soir, je me suis couchée. Je pense que j'ai vraiment bien dormi.
FS
Aujourd'hui, ça va. Clairement, moi, je n'ai pas mes huit heures de sommeil, je suis mort.
Nolwenn Febvre
C'est pas possible. Ah ouais, c'est ça. Je ne fonctionne pas du tout comme ça. C'est bizarre.
Fouad Souak
Et puis Léa m’a mis à la sieste. Et puis, j'ai appris justement à en fait à gérer maintenant mon sommeil. Ça veut dire que comme je fais aussi des grandes journées, je me case entre 13h30 et 14h00, un quart d'heure de sommeil, un quart d'heure de sieste et puis hop, tu repars comme en 40
Nolwenn Febvre
Mais moi, il faut que j'apprenne à faire ça. Je le fais un tout petit peu, des fois, de me poser un quart d'heure sans dormir, mais juste se poser. Je vois bien que ça fait du bien. Il faut que je me force à faire ça.
Fouad Souak
Tu es Nolwenn ?
Nolwenn Febvre
Oui.
Fouad Souak
Présente-nous un petit peu qui tu es déjà à la base. C'est quoi ta carte d'identité ?
Nolwenn Febvre
Ma carte d'identité, si on remonte loin, déjà, je suis Bretonne, je suis née à Lannion, dans le granit rose, j'aime bien dire ça.
Fouad Souak
Oh dans les Côtes d’Armor
Nolwenn Febvre
Exactement. C'est une région que j'aime beaucoup, évidemment. Mes parents sont du Finistère Nord et j'ai des racines bretonnes importantes. Je suis infirmière anesthésiste et je suis partie faire mes études d'infirmière à Paris. La Bretagne, je trouvais ça trop petit. Je voulais partir dans une grande ville. C'était un vrai choix. Et après, j'ai commencé à travailler à l'hôpital Necker à Paris, où j'ai eu la chance de travailler avec des anesthésistes en réanimation neurochirurgicale, où j'ai appris la vie du haut de mes 20 et quelques années, parce que c'était un service très dur et que j'ai eu vraiment eu cette chance de travailler avec des gens incroyables et des enfants.
Fouad Souak
Ça consiste en quoi, justement ? L'anesthésie, réanimation pédiatrique ? C’est quoi cette cette histoire ?
Nolwenn Febvre
C'est un métier particulier. Déjà, l'hôpital qui est un petit peu fermé, le bloc qui est un peu fermé et de faire l'anesthésie, réanimation pédiatrique, c'est encore une autre étape. Moi, c'était vraiment un choix poussé par les anesthésistes de faire cette spécialité et après, une fois que j'ai été infirmière anesthésiste, de faire de la pédiatrie. Ça, c'était vraiment un de mes objectifs. C'est endormir les enfants pour des interventions chirurgicales au bloc opératoire et de veiller à ce que ça se passe le mieux possible, qu'ils se réveillent bien et qu'ils rentrent chez eux en ayant vécu ça le mieux possible. C'était ça le challenge un petit peu que je m'étais fixée.
Fouad Souak
C'est une spécialité de temps pour les médecins et pour les infirmiers et les infirmières je crois.
Nolwenn Febvre
Oui, tout à fait. Pour les infirmières, c'est une formation après, il faut être infirmière déjà, avoir travaillé au moins deux ans, souvent dans des secteurs de l'anesthésie, de la réanimation, des urgences.
Fouad Souak
Tu ne commences pas directement après tes études ?
Nolwenn Febvre
Non, on ne peut pas. Il faut au moins avoir un peu de l'expérience professionnelle et ça se comprend. Moi, j'ai travaillé cinq ans en réanimation et ce n'était pas trop. Et donc après le concours et deux ans d'études avant d'être infirmière anesthésiste. Et pour les médecins anesthésistes, c'est le choix de l'internat de faire cette spécialité d'anesthésie- réanimation. Donc oui, c'est vraiment des métiers vraiment spécialisés.
Fouad Souak
Parce qu'en plus, tu as l'anesthésie adulte. Est-ce qu'il faut passer d'abord par ce stade- là avant de passer par l'anesthésie pédiatrique ?
Nolwenn Febvre
Moi, en tant qu'infirmière, j'avais fait que de la pédiatrie et quand j'ai passé le concours, c'était une des questions de dire « J'ai fait que de la pédiatrie. » Puis, en fait, je l'ai eu cette question à l'oral du concours et je leur ai dit « Mais vous savez, la veille, je m'étais occupée d'un enfant polytraumatisé qui faisait 1m80 et 75 kilos. C'était en format adulte. C'est plus un enfant. Voilà. Donc oui, il y a des spécificités de l'adulte, même pour ces ados- là, mais non, ça n'a pas été un frein. Après, quand j'ai été infirmière anesthésiste, au début, je n'ai pas pu tout de suite aller en pédiatrie. Donc j'ai fait de l'anesthésie adulte. C'était aussi une très bonne expérience. Et puis prendre aussi de l'assurance en anesthésie, c'est quand même des métiers très compliqués où on a la responsabilité des gens entre nos mains, donc il faut quand même maîtriser les choses avant de faire de l'anesthésie pédiatrique qui est encore un autre niveau, je trouve. D'endormir des bébés d'un kilo. C'est des métiers assez dingues. Donc finalement, oui, mais moi, c'était un choix et je n'ai jamais regretté de le faire.
Fouad Souak
Un kilo, il faut se représenter quand même. Parce qu' un bébé, quand après une grossesse de neuf mois, il naît, il a quoi ? Il a trois kilos ? Trois kilos et demi ?
Nolwenn Febvre
Oui, c'est ça.
Fouad Souak
Ça veut dire que tu peux endormir des bébés de un kilo. Ça veut dire qu'ils ne sont même pas...
Nolwenn Febvre
C'est des pré-maturés. Oui, tout à fait.
Fouad Souak
Tu fais comment pour le piquer ?
Nolwenn Febvre
Des fois, c'est compliqué. C'est pour ça qu'il faut des gens qui font ça souvent, qui sont très spécialisés. C'est ce qu'on fait à Rennes, dans le service d'anesthésie pédiatrique, c'est sûr. C'est des gens qui sont hyper formés.
Fouad Souak
Parce que toi, tu es justement au CHU de l'hôpital Sud de Rennes.
Nolwenn Febvre
Oui, tout à fait.
Fouad Souak
Dans une super équipe. Avec des super anesthésiste
Nolwenn Febvre
Dans une super équipe, vraiment. C'est clair. Qui sont parfois, et c'est aussi ça qu'on partage, qui sont parfois plus juste que des collègues, c'est vraiment des amis et ça crée des liens parce qu'on vit des situations difficiles, parce qu'on fait des gardes ensemble, on passe des nuits ensemble, des jours et que c'est un métier d'entraide aussi. Et en plus, quand on est infirmier anesthésiste et anesthésiste, on est un vrai binôme. Il y a de la collaboration, chacun à sa place et on sait ce que fait l'un et l'autre. Donc, on travaille dans de bonnes conditions. Je trouve que c'est vraiment une belle collaboration. Et puis, il y a des affinités aussi, mais ça crée des liens, forcément. On passe beaucoup de temps ensemble, on passe beaucoup de temps au travail. Et oui, il y en a qui sont bien plus que des collègues, ça c'est sûr.
Fouad Souak
Tu disais justement que tu travaillais au CHU de Rennes. Tu as été à Necker. Tu es née à Lannion. Tu fais partie de cette diaspora qui rentre en Bretagne. Parce que c'est quoi ? On n'imagine pas vivre ailleurs qu’en Bretagne ?
Nolwenn Febvre
C'est un petit peu ça. J'ai adoré la vie parisienne, mais en fait, ce qui me manquait, c'était la mer. Vraiment, j'étais trop loin de la mer et Rennes, c'était un choix parce que après, après avoir été dans les hôpitaux parisiens, je voulais quand même pas un petit hôpital, il en faut, c'est pas le problème, mais je voulais quand même rester dans un centre important. Donc Rennes et puis la ville de Rennes m'a toujours plu et je trouve qu'elle est très bien placée. On est à une heure de Saint-Malo, une heure et demie de la Trinité, deux heures de chez ma mère dans le Finistère Nord et puis une heure et demie de Paris aujourd'hui. Donc en fait, je trouve que c'est quand même vraiment super bien placé avec une ville qui est vraiment chouette. On y fait bon vivre.
Fouad Souak
On est quand même d'accord que la Bretagne Nord, c'est quand même la plus belle côte de Bretagne.
Nolwenn Febvre
Évidemment. Large.
Fouad Souak
Large. Mais alors, de toute façon, en fait, dans les petits hôpitaux de proximité, il n'y a pas de chirurgie pédiatrique ?
Nolwenn Febvre
Ils en font, mais au- delà d'un certain poids et d'un certain âge. Sinon, ils transfèrent soit à Brest ou à Rennes pour la Bretagne. Et dans les centres qui sont spécialisés, qui ont l'habitude de faire des petits et des moins de 10 kilos, parce que c'est de l'anesthésie très spécifique, en fait, et qu'il faut en faire beaucoup pour être performant et que c'est des choix qui ont été faits et qui sont raisonnables pour une bonne prise en charge des patients. Je trouve que c'est vraiment adapté. Le réseau fonctionne bien, je trouve.
Fouad Souak
On ne fait pas ce métier, on fait ce métier- là par vocation. On ne tombe pas dans ce secteur d'activité. On ne fait pas ce métier- là par défaut.
Nolwenn Febvre
Non, je ne crois pas. En tout cas, si on l'a fait pour ça, on ne reste pas. Mais si on reste, c'est que c'est vraiment un choix.
Fouad Souak
Pourquoi on ne reste pas justement si on est arrivé là ? Par hasard.
Nolwenn Febvre
Alors soit c'est parce que finalement, on s'était trompé. Soit c'est parce que finalement, on s'était trompé, soit c'est parce que le métier est difficile et qu'il peut y avoir de la souffrance aussi au travail et que les gens, ils jettent l'éponge, qu'ils ont envie de partir faire autre chose. Et ça, ça doit être difficile parce que c'est vraiment sont en dépit. Et de partir, oui, c'est... Non, il faut pas.
Fouad Souak
Et quel type de souffrance ?
Nolwenn Febvre
Je pense que ça peut aller loin. On parle beaucoup de burn out, de gens... Et je pense que ça s'explique aussi parce que c'est des choix. C'est des métiers qu'on fait par choix. Et quand on ne se sent plus à sa place ou qu'on se dit qu'il faut faire un autre métier, je pense que c'est une vraie souffrance, un vrai renoncement, une carrière. Et que le burn out, à mon avis, dans ce milieu- là, il est fort à cause de ça. Et on est là pour aider les gens et quand on n'y arrive plus, ça renvoie vraiment une mauvaise image. Et puis que c'est aussi des conditions difficiles d'horaire, de contraintes. Et que ce n'est pas simple à gérer.
Fouad Souak
Il y a un hôpital public aussi qui se porte mal
Nolwenn Febvre
Il y a un hôpital qui est malade ? Voilà, avec des gens qui ne sont pas valorisés à la hauteur de ce qu'ils font, des conditions où on nous en demande toujours plus avec moins. Et puis la souffrance des patients, c'est aussi violent. Et on dit que les soignants sont blindés, ce n'est pas vrai. C'est toujours difficile à encaisser et donc on est un peu formés pour ça, mais pas tant que ça. Et donc, il faut vivre avec ça. Et moi, je trouve que c'est violent. C'est souvent très violent pour les patients qui arrivent, mais pour les soignants, c'est violent.
Fouad Souak
En plus, vous prenez ça un petit peu à la chaîne. Ça veut dire qu'un patient est remplacé par un autre ?
Nolwenn Febvre
Oui. Si on le prend comme ça, c'est possible et peut- être que c'est une manière de se blinder, de tenir dans le métier. Mais moi, je connais personne qui le fait comme ça.
Fouad Souak
Il faut quand même un prisme un peu humain pour exercer ce métier.
Nolwenn Febvre
Oui. Et si les gens râlent, c'est aussi parce qu'ils ont envie que ça soit mieux et qu'il vaut mieux râler, rester, essayer de faire bouger les choses que de partir et de mal vivre ça, je pense. Mais oui, l'hôpital va mal et pourtant, on a un système de santé de dingue. Et puis des gens hyper compétents. Le CHU de l’anésthésie pédiatrique. Tout le monde est quand même... Moi, je leur confierais mes enfants les yeux fermés. C'est un hôpital dont il faut prendre soin, je pense.
Fouad Souak
La particularité aussi de la pédiatrie, c'est probablement qu'il y a le patient d'une part, et puis il y a les parents. Forcément, tu as une autorité, donc tu ne gères pas uniquement le patient que tu vas avoir sur ta table d’opération.
Nolwenn Febvre
Non, exactement. On gère la famille et je vois bien aujourd'hui que si notre métier a changé avec tout ce qu'on a pu mettre en place, si ça a évolué dans le bon sens... Et aujourd'hui, on paye aussi les traumatismes des parents. Un parent qui a été endormi dans son enfance, les trois quarts gardent des traumatismes de ce moment- là. Et quand, à son tour, on emmène ses enfants se faire opérer et qu'on ne sait pas ce qui se passe dans un bloc opératoire, qu'on ne sait pas que ça a évolué, que ça ne se passe plus de la même manière, qu'on peut venir en voiture électrique ou en jouant au bloc, c'est le stress des parents qu'on doit gérer. Et c'est tout ça qui ressort et je l'ai vu plein de fois où les parents m'ont dit « Mais en fait, moi, j'étais endormie petite, j'arrive toujours pas à me faire à ce traumatisme- là. » donc il faut prendre en compte tout ça. Et puis on les voit parfois sur des durées très courtes et finalement, ils ont leur vécu et nous, on n'y connaît rien. On les rencontre là, sur ce moment- là. Et puis nous, on dit toujours, il n'y a pas de petite intervention, mais voilà, on peut être traumatisé pour une pause de diabolo dans les oreilles, comme pour une tumeur cérébrale. On n'est pas là pour juger, déjà, et chacun vit son histoire avec tout ce que ça peut représenter. Donc il faut se mettre un peu à la place des gens et essayer de faire au mieux pour chacun, peu importe l' intervention, et de prendre cette famille dans la globalité.
Fouad Souak
Ta particularité, c'est que tu as une double casquette. Oui. Tu es présidente des Petits Doudous, fondatrice des Petits Doudous, qui est une association dont tu vas nous parler, qui est une histoire incroyable. Je dirais même pas d'ailleurs une histoire incroyable qui enchaîne les histoires. Je crois que ça va être un petit peu le fil rouge de cet épisode de Nouveaux Récits. Ça débute forcément par quelque chose un peu traumatisant je crois.
Nolwenn Febvre
Complètement. Par ce dont on parlait, de réaliser que peut- être ce burn out et ce ras-le-bol de l'hôpital, ça m'était arrivé. Vraiment de me dire « Là, moi, il faut que je parte. Les enfants qui pleurent pour aller au bloc opératoire, j'en peux plus, je les supporte plus”.
Fouad Souak
C'est quotidien, ça.
Nolwenn Febvre
Voilà, c'était quotidien et j'en étais même à appréhender l'enfant qui allait arriver. Me dire « Il y en a un autre qui va arriver, il va aussi pleurer et là, j'en peux plus quoi. Depuis ce matin, un, deux trois, quatre.
Fouad Souak
Ça faisait combien de temps que tu travaillais déjà là, en fait, à ces postes là ?
Nolwenn Febvre
Ça faisait... C'était en 2011, ça faisait dix ans que j'étais infirmière anesthésiste et ça faisait.
Fouad Souak
Cinq ans- Dix ans que tu supportais les pleurs des enfants.
Nolwenn Febvre
Oui, cinq ans que j'étais en pédiatrie. Et pourtant, c'était un service où il y avait déjà plein de choses de mise en place. Le personnel était formé à l'hypnose. On avait déjà un regard et une écoute auprès des enfants. Et je pense que c'est aussi ce qui m'a aidée, qui était différent. Il y en avait qui pleuraient, mais ils ne pleuraient déjà pas tous. Puis que même dans nos formations, on nous dit « Les infirmières font des burn out, elles arrêtent. »donc je me suis dit « Ça y est, ça m'arrive. C'est mon tour. Il faut que je parte, il faut que j'arrête. Il faut que je change de métier, mais je ne sais pas ce que j'allais faire. Et puis c'était très dur et très douloureux de me dire que je jetais l'éponge et que là, ça ne m'allait pas, que les enfants pleuraient, que c'était une fatalité, que je ne pouvais rien faire. C'était horrible.
Fouad Souak
On s'approche probablement de cette idée que face à l'échec, on tente de fuir, non ? On tente de prendre des clics, c'est clair qu'on essaie de se préserver. C'est ça. On n'a plus envie d'en entendre parler.
Nolwenn Febvre
Exactement. Et je me rappelle très bien d'être rentrée chez moi et d'être assise une heure sur mon canapé à me dire « Mais qu'est- ce que je vais faire ? Qu'est-ce que je vais faire ? Je ne vais pas y retourner demain. » Et puis de me dire « C'est pas possible d'en être là. »il y avait quand même ce côté qui me dérangeait de se dire « Les enfants pleurent et c'est une fatalité. » Je trouvais ça dingue quoi. Je me dis « Mais c'est pas possible. On peut pas faire ça, on peut pas travailler comme ça. » Et après, il y avait eu plusieurs choses qui m'ont aidée, je pense. J'avais vu une étude sur l'anxiété des enfants au bloc opératoire avec des courbes qui étaient croissantes, ressente de manière assez impressionnante où l'enfant arrivait dans le service, donc il y avait un niveau de stress élevé, déjà. Il partait au bloc opératoire et laissait ses parents, donc forcément, le stress montait. Et le summum de cette courbe, c'était la pose du masque d'anesthésie pour les endormir. Et c'est là que moi je travaille, c'est là que je suis. Et donc je me dis dans cette courbe, le pic, c'est moi. Et là, je dis la pose du masque, c'est vrai que c'est un objet un peu bizarre.
Fouad Souak
Tu dis un peu « c'est de ma faute”
Nolwenn Febvre
Oui. Et puis on est responsable de ça. Et là, je me dis « Il faut agir ». Je me disais « Je peux pas faire un métier où
Fouad Souak
Où l’enfant est en souffrance avant de se faire opérer
Nolwenn Febvre
Voilà, exactement. Et donc ça, ça m'avait quand même vraiment perturbée. Et puis après, il y a un... Je me suis aussi souvenu d'un petit garçon qui était arrivé avec les pompiers, un vent de panique à la maison, une fracture de la jambe. Et ce petit garçon, étonnamment, à un moment, il m'a regardée droit dans les yeux et il m'a dit « Je peux pas dormir si j'ai pas mon doudou ». Et moi, j'étais avec mon plateau, avec des drogues d'anesthésie, prêt à l'endormir et le soulager pour qu'il arrête de pleurer. En fait, il ne pleurait pas parce qu'il avait mal, il pleurait parce qu'il n'avait pas son doudou. Et avant de partir, tout ça, ça m'est revenu un petit peu dans tous les sens et je me suis dit « Bon, si c'est une fatalité que les enfants pleurent, moi, je ne vais rien pouvoir faire. Je suis qui moi ? Je suis une infirmière anesthésiste dans le fin fond du bloc. Voilà, je n'ai aucune prétention de rien. Je ne vais rien pouvoir faire. Par contre, avoir un doudou, peut- être que je peux faire ça. » Et je suis allée sur le site de Moulin Roty qui fabrique des doudous, qui n'est pas très loin de chez moi, que je connaissais parce que c'est une scope et que j'en avais entendu parler. Et je suis allée sur leur site et j'ai fait contact. J'ai envoyé un mail, la bouteille à la mer, « Aidez-moi, on n'a rien à l'hôpital, on n'a même pas de doudou à donner aux enfants. Et j'ai envoyé. Quelque part, ça m'a fait du bien parce que je me suis dit, si ça ne me va pas, au moins je fais quelque chose. Ça ne va jamais, il ne va rien se passer, mais au moins, j'aurai fait un truc quoi.
Fouad Souak
Tu t'attendais à quoi ?
Nolwenn Febvre
À rien.
Fouad Souak
C'est-à-dire que tu as un enfant, il veut son doudou, tu commences à avoir une petite idée. On dirait un peu, on peut faire quelque chose, je sais pas si ça marchera. T'es chez toi, t'es dans ton canap', t'es dans ton bureau, comment ça se passe ? C'est quoi le déclic ? Comment tu... ?
Nolwenn Febvre
Mon ordinateur à ce moment-là était sur une petite tablette dans le salon. Je passe juste de mon canapé à ma chaise devant mon ordinateur et je vais voir sur ce site- Par curiosité. Par curiosité, si je trouve et contact, on se dit qu'il n'y a personne derrière. Et en fait, si, il y avait Amandine derrière.
Fouad Souak
C'est vrai ?
Nolwenn Febvre
Y’avait Amandine.
Fouad Souak
Moi, je déteste envoyer des mails, tu sais, les contacts@je-m'en-fous. Com.
Nolwenn Febvre
Exactement. Je l'ai fait presque pour moi, peut-être pour moi en me disant « J'ai fait un truc quoi ». Je suis pas partie en ne faisant rien. Ça m'allait pas, donc je n'arrivais pas à me dire ça ne me va pas, mais je fais rien. Donc voilà, j'ai envoyé le mail et ça ne coûte rien, c'est facile. Je suis toute seule chez moi, personne ne me dit quoi que ce soit. Ça se voit pas, je fais ça discrètement parce que bon, voilà, faut pas trop en faire non plus. Je fais ça. Pas de vagues.
Fouad Souak
Du coup, tu as une Amandine qui a répondu. On a répondu à ton message ?
Nolwenn Febvre
C'est ça. Et Amandine, elle m'envoie un super message. Elle me dit « J'ai eu votre message et je vous envoie un carton de doudou. »et là, rien que ça, ça me fait du bien. Déjà, je me dis « Je ne peux pas toute seule. Il y a quelqu'un qui a compris. Et en plus, gratuitement, il m'envoie des doudous. »et je reçois chez moi un carton, mais pas le petit carton. Il y avait 150 doudous, des petits canards verts, je me rappelle. Et là, je l'ouvre et je me dis « Mais ce n'est pas possible”
Fouad Souak
Tu as ressenti quoi ?
Nolwenn Febvre
J'étais scotchée. Et puis j'ai pensé tout de suite aux enfants qui allaient les avoir. Je me suis dit « Bon, je les emmène. »et j'avais hâte d'aller à l'hôpital. Je n'en ai plus partir, j'avais hâte d'y retourner. Et là, je les ai emmenés à l'hôpital et ça a été le déclic. Le premier que j'ai donné, un petit garçon, il m'a dit « Tu me donnes ça parce que j'ai été fort”
Fouad Souak
Ça s'est passé comment ? Justement, c'est le tout premier doudou que t'as donné.
Nolwenn Febvre
Ouais, déjà, c'était génial parce que c'était cette reconnaissance et que ce petit garçon prenne conscience aussi qu'on avait bien, nous aussi, compris en tant que soignants que ce qu'il avait vécu, c'était pas facile. Et qu'il me dise ça, « Tu me donnes ça parce que j'ai été fort. »ouais, clairement, je peux te le dire. Tu peux partir fièrement, retrouver tes parents. T'as été très fort. Et ce que tu vis là, c'est pas facile. Et nous, on est là pour t'aider et ça changeait un peu la relation, déjà, avec les enfants. Et donc il y avait ça. Et l'autre point qui a été vraiment bien pour moi, c'est de me rendre compte que mes collègues, ça leur faisait du bien aussi de donner un doudou. Et que j'étais peut- être pas toute seule. Et voilà. Et le problème, c'est que le carton s'est vidé à un moment. Et qu'on fait quoi ? On fait quoi ? Et moi.
Fouad Souak
C'était à tous les enfants ou alors pour ceux qui, justement, exprimaient plus d'anxiété ?
Nolwenn Febvre
Au début, on n'en avait pas beaucoup, donc on avait décidé de donner aux enfants en urgence. Ceux qui venaient en urgence, ceux qui venaient en urgence, ceux qui avaient oublié leur doudou. Et après, on s'est dit, mais on peut pas faire de choix. C'est tout le monde.
Fouad Souak
Il en passe combien d'ailleurs des enfants ?
Nolwenn Febvre
4 500 par an à Rennes. C'est peut- être même un peu plus maintenant, mais presque 5 000 enfants par an. C'est industriel. Il en faut des doudous.
Fouad Souak
Il se passe quoi aux enfants de Rennes ?
Nolwenn Febvre
Déjà, on draine loin. Et puis après, il fait beau, on va ressortir les trampolines.
Fouad Souak
Jamais, en fait, j'aurai un trampoline dans mon jardin
Nolwenn Febvre
J'espère bien. Il faut arrêter les trampolines, on n'en peut plus des trampolines. L'idée de l'association est venue assez facilement pour ouvrir un compte personnel.
Fouad Souak
Donc, vous vous êtes dit, il n'y en a pas assez, il en faut plus. Moulin rôti, ils sont sympa, mais ils vont probablement pas vous fournir
Nolwenn Febvre
Ils ont fourni pas mal quand même.
Fouad Souak
Comment tu es passée ? Ce qui est intéressant, c'est vraiment l'idée à l'action. T'as eu une idée, c'était comment je fais pour soulager ces enfants ? T'es partie sur le site, t'as envoyé ton mail au contact, c'est Amandine qui l'a reçu, on te l'a envoyé. Donc déjà, t'as activé des choses de manière plutôt significative et surtout très concrète. T'as distribué à 150 enfants ces 150 doudous. Tu as fait du bien à ces enfants et tu as fait du bien aussi aux soignants, parce qu'ils n'ont plus justement à absorber l'anxiété des enfants en train de pleurer au bloc. Puis tu t'es dit, « Écoute, quelle est la prochaine étape ?
Nolwenn Febvre
C'est ça, parce que carton vidé, on fait quoi ? Et puis à ce moment- là, je me suis dit « On va aller demander des sous aux labos, aux fabricants. » Mais pour centraliser ça, il faut bien un compte. Le seul moyen qu'il y a d'avoir un contact personnel, c'est de créer une Asso. Loi 1900 en France, c'est quand même facile. Moi, j'avais créé une asso avec mon frère et ma sœur pour organiser les week- ends de fête avec nos copains. Je savais que c'était faisable et j'ai embarqué deux collègues, Catherine et Claire.
Fouad Souak
De Rennes ? C'était au CHU de Rennes ?
Nolwenn Febvre
Oui. Et on a créé l'asso comme ça, déposé les statuts à la préfecture et c'était parti. On l'a appelé les petits doudous du CHU de l'hôpital Sud, même au début, le petit doudou de l'Hôpital Sud, mais vraiment pour ça, tout simplement.
Fouad Souak
Pas d'ambition ? Rien derrière la tête ? Non. Juste donner des petits doudous aux enfants ?
Nolwenn Febvre
C'est ça. Et de chercher des sous pour faire ça.
Fouad Souak
Parce que que disait Moulin Roty, justement, au début ? « On veut bien continuer, mais ça représente un coût. On ne va pas vous filer que les rebuts.
Nolwenn Febvre
Non. Et puis voilà, ça avait été déjà hyper généreux de leur part. On ne pouvait pas continuer. Ils nous en avait redonné un petit peu
Fouad Souak
Il y a quand même un modèle économique à trouver, un équilibre financier à trouver
Nolwenn Febvre
Même s'il nous faisait des prix, des filiales de toute concurrence, il fallait quand même les acheter à minima, donc il fallait de l'argent.
Fouad Souak
Il ne faut pas les sortir dans la poche
Nolwenn Febvre
Non.
Fouad Souak
Vous aviez demandé à l'hôpital des sous ? Non, même pas.
Nolwenn Febvre
Non, même pas. De toute façon, ils n'ont pas de tune. Ils ont pas de tune. Ils remettent pas de peinture sur les murs, déjà. Franchement, même pas venu à l'idée. Peut-être qu'il m'en aurait donné. Je me suis dit « On va pas commencer par là. C'est sûr que ça marchera pas. » Donc non, je n'ai n'ai même pas demandé. Même pas demandé.
Fouad Souak
Non. D'accord. C'était quoi l'idée pour aller chercher ces sous ?
Nolwenn Febvre
C'était ses labos, tout ça, mais on a assez vite eu des refus. En parallèle, moi, je faisais partie de la commission développement durable de l'hôpital. J'avais une passion pour les poubelles au bloc opératoire. C'est que j'étais un peu énervée, on va dire, le midi dans notre salle de pause, quand on mangeait, que mes collègues expliquaient qu'ils venaient d'acheter la super poubelle à quatre compartiments pour bien trier à la maison et que ces mêmes personnes, dans une salle de bloc, ne triaient plus rien. Parce que le système n'était pas prévu pour. C'est qu'on a seulement deux sortes de déchets à l'hôpital, c'est les ordures ménagères comme à la maison dans un sac noir et l'autre sac qu'on a qui est un sac jaune qui n'est pas du tri comme à la maison, mais qui sont des déchets d'activité de soins à risque infectieux. On avait l'impression que c'était vraiment du hyper contaminé et que dans ces sacs-là, on jetait tout et n'importe quoi. Moi, je faisais des expériences où je mettais la poubelle noire d'un côté, tout le monde jetait dans le noir et quand je mettais la jaune, tout le monde jetait dans le jaune.
Donc, en fait, personne ne triait. Et un jour, je suis au bloc opératoire et on parle de l'assaut, qu'il faut des fonds. Et je vois le chirurgien jeter un fil de bistouri électrique dans cette poubelle jaune. C'est un c'est un fil à usage unique qui fait trois mètres de long. Et je suis avec Charlotte au bloc opératoire, une anesthésiste et on parle de ça. Et je lui dis « Mais regarde ce qu'on est en train de jeter dans les poubelles. » En plus, dans ces fameux DASRI et ce fil de bistouri, il n'est pas du tout contaminé, l'enfant n'est pas malade. Je dis, mais c'est n'importe quoi. Et donc je le prends dans la poubelle et je le dénude et je me retrouve avec une petite bobine de cuivre. Je me dis « Mais quand même, ça, c'est valorisable. Et je dis à Charlotte, t'imagines tout ce qu'il y a sur le CHU de Rennes tous les jours qui est jeté. Et si on vendait ça à un ferrailleur pour payer les doudous ? Je dis ça en rigolant.
Fouad Souak
Tu as fait ta manouche, en fait.
Nolwenn Febvre
Exactement. Et ce qui est fou, c'est que Charlotte, elle m'a dit, mais non, mais tu as raison, on va le dire à tout le monde. Mais moi, je dis « Mais ça ne marchera jamais. » Elle me dit « Non, non, mais attends, on va le dire à tout le monde. Et dans la journée, dans la semaine, le mot était passé et tout le monde s'est mis à garder ce fameux fil de bistrots électriques. Et les gens, ils les emmenaient à la maison, ils les dénudaient. C'était un truc de dingue. Tout le monde a adhéré. Il y a eu un élan collectif qui m'a encore fait du bien de dire « Mais mes collègues, ils sont tous volontaires pour faire ça. Et donc, on avait trouvé un modèle économique pour financer nos doudous en valorisant les déchets hospitaliers.
Fouad Souak
Tu as aussi trouvé avec toutes ces idées une info qui est, vous traversez toutes et tous les mêmes problèmes de burn out, de solitude, d'anxiété, de difficultés face au travail. Et les gens se sont aussi mobilisés parce que ça a réglé une partie de leurs propres
Nolwenn Febvre
Oui, et puis que c'était aussi simple et concret.
Fouad Souak
Oui, c'était pas difficile.
Nolwenn Febvre
C'était pas difficile. En fait, au lieu de le jeter dans la poubelle, de le mettre de côté. C'était ça le geste. Et après, il fallait organiser, mais on a trouvé... Tout le monde était volontaire pour nous aider à collecter et à y prêter attention parce que l'objectif était clair, c'était pas pour payer mes vacances, c'était pour faire un doudou aux patients du chirurgien, aux patients qu'on avait, nous, aux enfants qui venaient et on les voyait, ces enfants- là. Donc c'était un circuit court, très simple et court et facile et au moins avec du sens. Et je pense que c'est vraiment pour ça que tout le monde a adhéré. Je me rappelle, j'étais partie en vacances une semaine et quand je suis revenue, tout le monde avait trouvé du cuivre partout. Je me suis dit « Mais qu'est- ce qui se passe avec ce projet ? Qu'est-ce qu'ils font ?
Fouad Souak
Et t'as réussi à vendre ça facilement ?
Nolwenn Febvre
Oui, c'est un aide-soignant du Bloc Didier qui avait trouvé sur la route pour venir à l'hôpital, qui avait un ferrailleur, qui faisait achat de métaux. Il m'a donné l'adresse, je suis allée les voir. Et on a amené nos premiers kilos, on a récupéré 150 €, on était euphoriques. On s'est dit « Non mais c'est génial. »on a trouvé de quoi financer, de l'argent. Et puis ce qui gâche rien, je trouve, c'est que ça faisait moins de déchets pour l'hôpital et donc tout le monde gagne. Une vraie valeur du développement durable, c'est que nous, on finance nos doudous et l'hôpital a moins de déchets à retraiter, donc ils font des économies dans le traitement de ces fameux DASRI qui coûtent très cher en plus. C'est à peu près 1 000 euros la tonne pour l'élimination. Donc voilà, ce n'est pas anecdotique.
Fouad Souak
Mais ils sont vraiment triés ces déchets à l'hôpital ?
Nolwenn Febvre
Aujourd'hui, oui. Aujourd'hui, ils sont vraiment triés. Il n'y a plus un fil de bistouri électrique qui va à la poubelle chez nous en tout cas et dans pleins d’hôpitaux
Fouad Souak
Parce qu'ils sont récupérés récupérées par les petits doudous ou parce qu'il y a aussi des circuits de recyclage qui ont été mis en place par ailleurs ?
Nolwenn Febvre
Non, il y a beaucoup de circuits de recyclage à l'hôpital et heureusement, mais pour récupérer ça, c'est vraiment une activité de soignant. Ça veut dire que c'est le chirurgien qui fait attention à ne pas le jeter, c'est les aides-soignants qui les décontaminent. Il faut une vraie implication des personnels. Et s'ils n'ont pas envie, on ne le fait pas. La belle chose, c'est que tout le monde a eu envie. Peu importe sa fonction à l'hôpital d'ailleurs, qu'on soit chirurgien ou aide-soignant, tout le monde participe et ça aussi, ça fait du bien.
Fouad Souak
Donc, tu as pu mettre en place le fonctionnement de l'association, à normaliser un peu tout ça, à créer peut- être des protocoles pour essayer de...
Nolwenn Febvre
Oui, oui, oui.
Fouad Souak
Ah oui ? Il y a un sujet là-dessus ?
Nolwenn Febvre
Oui, oui, oui. Il y a un vrai sujet sur le protocole, oui, parce qu'en fait, moi, je l'ai fait de manière... Sans penser que ça marcherait, vraiment. Ce sont mes collègues qui ont fait tourner le truc. Tout le monde m'a dit, ne dis pas, n'en parle pas, tu n'auras jamais le droit de faire ça. Donc, je n'ai rien dit.
Fouad Souak
Tu détournes un petit peu les biens de l'hôpital.
Nolwenn Febvre
Exactement. Donc, je n'ai rien dit. Et comme à Rennes, on a deux sites entre l'hôpital Sud et Pontchailloux que les internes tournent, que tout le monde tourne, les blocs de Pontchailloux ont eu vent de l'action et ils s'y sont mis. Et donc moi, j'ai commencé à recevoir des cartons, des fils du centre de cardio, de digestifs.
Fouad Souak
Parce qu'en plus, à Pontchailloux, ils ne font pas de pédiatrie ?
Nolwenn Febvre
Non, mais ils nous les envoyaient. Ils les gardaient, ils nous les envoyaient. Et donc tout le monde en emmenait un peu à la maison. Moi, j'en avais dans mon vestiaire, dans mon garage, dans ma voiture, j'en avais partout. Et au bout d'un moment, mais c'était énorme les quantités qui arrivaient. Et je me suis dit, il faut que je prévienne la direction de l'hôpital. Je n'ai pas le choix. Sauf que je ne savais pas qui prévenir, puisque ma chef direct était au courant. Mais je me suis dit, je ne vais pas aller au- dessus. Je vais envoyer un mail à la direction. Donc j'ai envoyé un mail à la direction. J'ai été reçue très vite. C'est marrant, je crois que je l'ai envoyé le jeudi. J'ai eu un retour le vendredi. J'ai été convoquée le lundi et je me suis retrouvée dans le bureau de Cécile Boise, qui est la directrice de communication de l'hôpital. C'était un grand moment dont je me rappelais longtemps. Et elle était elle m'a demandé d'expliquer et elle m'a dit « Je vais résumer ce que vous faites. Elle me dit, un, vous vendez du matériel acheté par l'hôpital.
Je dis « Oui, c'est vrai. Elle me dit, en plus, normalement, ce sont des déchets d'activité de soins à risque infectieux. Le risque infectieux, c'est un mot déjà qui est un peu difficile. Alors je dis, à tort, ils sont mal triés. Elle me dit « Oui, mais normalement, ce sont des déchets de soins à risque infectieux”.
Fouad Souak
Parce qu'ils sont définis comme ça par l'hôpital.
Nolwenn Febvre
Voilà. Et elle me dit « Ce qui ne gâche rien, c'est que vous êtes en train de m'apprendre que tous les blocs du CHU de Rennes le font. » Je lui ai dit « Aussi. » Je me rappelle elle a eu un...
Fouad Souak
La direction et aucun administratif n'étaient au courant de ce qui se passait dans... ?
Nolwenn Febvre
Non.
Fouad Souak
Il y a un sujet.
Nolwenn Febvre
On faisait ça en douce, en fait. Les gens ont trouvé ça un peu fou, mais ils le faisaient quand même.
Fouad Souak
Oui, mais il faisait pas ça caché ?
Nolwenn Febvre
Non, non, non, non, parce qu'on utilisait le service interne pour faire transpaliter les cartons. Donc il y avait quand même plein de gens au courant. Et je me rappelle qu'elle a poussé sa chaise de son bureau. Elle a soufflé un grand coup et elle me dit « Faites le bien. » et je lui ai dit « Ce que je vais faire, c'est que je vais rédiger un protocole qui va montrer toutes les étapes du parcours pour qu'on le décontamine, que ça soit vraiment ciblé, qu'on puisse vous donner les quantités qu'on récupère et on va le faire valider. »15 jours après, j'ai été convoquée chez Monsieur Fritz, qui était le directeur du CHU de Rennes à ce moment- là. Je ne pensais jamais que j'irais dans son bureau. Je suis arrivée et quand je suis rentrée dans son bureau, il y avait notre protocole sur son bureau. Il m'a dit « Asseyez- vous ». Il a pris son crayon, il l'a signé et il me l'a donné. Et je me suis dit « Bon, ça c'est fait ».
Fouad Souak
Incroyable.
Nolwenn Febvre
Et c'est un document qu'on a diffusé après dans les autres hôpitaux pour qu'ils puissent faire pareil.
Fouad Souak
Ouais, tu fais des cas d'école.
Nolwenn Febvre
Ouais, exactement. Ouais, cas d'école.
Fouad Souak
Oui, parce que tu viens d'en parler là dans les autres hôpitaux, parce qu'en réalité, c'est une association nationale. Oui, on va un peu vite là, je pense, sur... Mais juste pour qu'on puisse situer un petit peu à la dimension de l'association que tu as créée en 2011, tu l'as dit. C'est quoi un peu les chiffres, là ?
Nolwenn Febvre
Aujourd'hui, c'est 118 associations. C'est 2 000 soignants engagés dans les bureaux de ces associations. C'est 233 tonnes de déchets recyclés l'année dernière et c'est 120 000 enfants qui bénéficient de nos actions partout en France tous les ans. Sachant qu'il y a un million d'enfants opérés, donc on a encore du travail.
Fouad Souak
Ces enfants, ce sont des enfants qui reçoivent des doudous ?
Nolwenn Febvre
Ce sont des enfants qui reçoivent des cadeaux, beaucoup de doudous. Pas que.
Fouad Souak
Non, pas que. C'est quoi le reste des activités, justement, des petits doudous ?
Nolwenn Febvre
Aujourd'hui, on a vu, ça va très loin dans l'accompagnement, parce qu'on commence dès la consultation d'anesthésie. Un masque qu'on pose sur le nez de l'enfant pour l'aider à s'endormir, cet objet qui était quand même un peu improbable et qui m'avait perturbée avec les chiffres d'anxiété, l'idée, c'était de le transformer et que ça devienne son masque et pas le nôtre. Et ça, c'est tout simple. C'est qu'en fait, les anesthésistes en consultation donnent un kit avec des gommettes à l'enfant, lui expliquent qu'il va falloir respirer dedans pour pouvoir s'endormir et être opéré. Et donc, il décore son masque avec des gommettes. C'est une notion très fine, mais évidente aussi, c'est que le jour, il revient avec son masque et pas le nôtre. C'est le sien. Et souvent, ils sont hyper fiers de nous montrer qu'ils l'ont bien décoré. Ils ont soufflés dedans à la maison, dans le calme et on dédramatise. Ça, c'est déjà quelque chose de facile.
Fouad Souak
Je vous fais une petite parenthèse parce que je trouve ça passionnant, mais on ne l'a pas dit à ce micro- là. Mais si on se connaît, c'est parce que ma moitié, mon amoureuse, c'est ta collègue. Je pense que l'une des premières choses qu'elle m'avait raconté, c'était cette étape- là. C'était justement ce masque qui était approprié par les enfants et qui était décoré de stickers, de choses pour dédramatiser l'acte.
Nolwenn Febvre
Et finalement, acheter des gommettes, c'est rien, ça coûte pas très cher. Il y a plein de choses très importantes de ces gommettes, c'est ça, vraiment, c'est son masque. Et aussi que les soignants se rendent compte qu'avec ce petit petit geste- là, qui est pas cher, ils peuvent interagir et avoir une autre relation avec les enfants. Et les gommettes, c'est déjà la base. C'est la base. Et après, c'est qu'ils partent mieux dans le parcours aussi, c'est le début. Après, l'idée d'offrir un doudou à la fin, c'était bien, mais moi, je voulais qu'ils viennent sans pleurer. Donc, tout ce parcours était important et on l'a vraiment étudié. Et le truc un peu fou qu'on a imaginé, c'est que l'enfant, il vienne au bloc en jouant et que tout le parcours nécessaire, c'est d'entrer dans sa chambre, de prendre la tension, d'avancer sans ses parents à un moment et d'aller s'endormir, ça se voit un jeu. Et moi, en réfléchissant à ça, en étant formée à l'hypnose aussi et d'avoir ce regard et ces échanges avec les enfants, c'était de gagner du temps. Démunifié de faire ce parcours un jeu, un jeu de piste. Je pensais naïvement le faire sur une feuille.
Et puis, dans l'univers numérique dans lequel on est tous, je me suis dit « Non, on va acheter des tablettes, même si c'est très cher et ça, c'est un problème, et on va télécharger la bonne appli et voilà, ce sera fait. Et à ma grande surprise, c'est que l'appli où l'enfant est un héros à l'hôpital et un parcours, ça n'existait pas. Et je n'en revenais pas. Je me suis dit « Mais ce n'est pas possible que ça n'existe pas.”
Fouad Souak
Mais ça, c'est venu vachement tôt dans Les petits doudous ?
Nolwenn Febvre
Oui, en 2013, on a commencé à réfléchir à ça. En fait, moi, c'était mon problème, c'est qu'ils avaient un doudou à la fin, c'était bien, mais il pleurait toujours pour venir. Il n'y avait pas le début et je n'avais pas encore réglé ce problème. Donc je n'étais pas complètement satisfaite. Et puis, dans l'assaut, on n'était plus trois, mais on était déjà presque dix. Et à la réunion, je me rappelle très bien dans la salle de staff, un soir, on parle de ce jeu et tout le monde dit « tant pis, ça existe pas sur les tablettes. »tant pis, c'était une bonne idée, mais tant pis. Moi, j'ai dit « Mais on est tous d'accord là autour de la table que s'il y avait ce jeu, ça serait bien. Je dis « Mais on va le faire ». Tout le monde a éclaté de rire. Et puis j'ai attendu un peu. Je dis « non, mais moi, je rigole pas, on va le faire ce jeu vidéo ». Parce que les compétences de terrain, il n'y a que les soignants qui les ont. C'est pas des … On a besoin d'autres compétences techniques, numériques, de design, on a besoin de tout ça, mais comment un ingénieur qui est très fort pour faire un jeu vidéo ou une appli numérique peut comprendre que pour prendre l'attention d'un enfant, on a besoin de faire un jeu où il va gonfler un ballon en même temps que ça va serrer sur son bras, qu'on a besoin de lui faire faire des montagnes avant de venir au bloc ?
Parce que quand il va respirer, ça va faire des montagnes sur le respirateur, c'était impossible. Je dis, il faut qu'on se mette autour de la table avec des gens qui vont nous aider. Je ne savais pas du tout qui ni comment, mais en tout cas, les compétences de terrain, on est les seuls à les avoir.
Fouad Souak
Vous avez le contenu, vous avez l'expérience. Vous pouvez conceptualiser le jeu, mais vous ne savez pas l'exécuter.
Nolwenn Febvre
Exactement. C'est un problème.
Fouad Souak
C'est un métier aussi.
Nolwenn Febvre
Bien sûr. Quand on est anesthésiste, infirmière, anesthésiste, on ne sait pas faire un jeu vidéo. Je ne sais toujours pas d'ailleurs comment on fait ça. Mais en tout cas, là où c'est aussi... J'avais déjà eu la démonstration que mes collègues avaient un réseau bienveillant. Je me dis, on va sortir de l'hôpital un peu et on va en parler à nos amis, nos familles, à tout le monde et on va peut- être trouver des gens qui vont avoir une solution. En tout cas, on n'a rien à perdre. Sinon, au pire, les enfants vont continuer à venir au bloc comme ça et au mieux, on peut améliorer les choses. Il faut essayer.
Fouad Souak
Ça s'est passé comment alors ?
Nolwenn Febvre
Ça s'est passé exactement comme ça. Je mangeais avec une copine à la crêperie et je lui parle de ça. Et elle me dit « Attends, mon beau- frère, il vient ce week- end, il bosse dans une boîte à Bordeaux, je lui en parle. » Et elle me rappelle le lundi, et me dit « Alors mon beau- frère, non, mais par contre, il a un copain qui sait faire ça et qui bosse pour une boite qui pourra peut- être t'aider. » Et Benjamin, Benjamin Chavignier, il m'appelle et il me dit « Voilà, j'ai entendu parler de ton histoire. Moi, je fais du design et des dessins pour les jeux vidéo. Et raconte- moi, et je raconte ce jeu de piste. Il me dit « Techniquement, c'est faisable. C'est pas très compliqué. » Et il me dit « Moi, je trouve ça tellement dingue que je veux bien faire les dessins pour vous. » C'est génial. Donc on commence avec lui à bosser sur le scénario, tout ça. Moi, je vais voir les infirmiers dans le service. Je réalise qu'effectivement, ils ont du mal à prendre l'attention des enfants et que c'est le premier truc qu'il faut faire, leur montrer que dès le début, on va trouver un jeu pour que ça se passe bien. Et ça me fait des relations avec elles que je n'avais pas. Ça me fait sortir du bloc et d'aller voir dans le service ce qui se passe. Ça ne me fait pas de mal de voir les brancardiers, qu' eux ont des difficultés aussi pour amener les enfants au bloc.
Fouad Souak
Écoutez, mesdames, messieurs les élus, allez sur le terrain.
Nolwenn Febvre
Clairement. Moi, je suis sortie de mon bloc et je suis juste allée jusqu'à la porte à côté. Et les brancardiers, de voir leur métier, qui accompagnent les enfants, qui sont au moment de la séparation des enfants et des parents, c'est quand même très dur toute la journée. Et puis nous, après, ça m'a déjà ouvert les yeux un peu sur ce qui se passait. Et puis David de Lassau, il avait un copain qui bossait dans une entreprise de numérique à Rennes qui s'appelle Nigi. Il lui en parle comme ça, un repas samedi soir avec des amis. Et Olivier de chez Niji dit « Moi, j'en parle en interne et je me retrouve à discuter avec Frédéric devant la gare à Rennes, je me rappellerai longtemps aussi. » Donc il est directeur communication de Nigi et il me reçoit. Je ne sais pas ce qu'il s'est dit d'ailleurs, il faudrait que je lui demande aujourd'hui, mais si on était fou ou pas, mais il m'a écoutée et j'ai dit « Voilà ce qu'on veut faire, on veut faire un jeu vidéo. J'ai déjà un designer, mais on n'a pas la compétence technique. » Et il m'a regardée, il m'a dit « On va mettre des développeurs à votre disposition.”
Et ça, c'était en septembre et on a commencé à travailler avec eux. Et en avril, le jeu était fait et on a commencé à faire jouer les enfants à Rennes en avril 2014. Et c'était un grand moment, un grand moment parce que ça a changé les choses tout de suite, que les enfants, ils étaient accrochés à leurs tablettes. C'était un bon moyen, déjà, de les attirer et puis que ça a complètement changé la manière dont ils venaient au bloc, la manière dont nous, on jouait avec eux. Ça permettait aussi d'entrer en relation. Parfois, grâce à la tablette, ils gagnent des étoiles. Les parents sont pris en photo, donc ils sont intégrés dans l'application, donc ils sont aussi acteurs de ça. Ils font quelque chose pour leurs enfants et ça a complètement changé la donne.
Fouad Souak
Est-ce que si tu donnes juste un écran à un enfant, ça fait le même effet ? Vous vous êtes posé la question ou pas ?
Nolwenn Febvre
Oui, tout à fait. Parce qu'au début, on avait, avant d'avoir l'application, on avait déjà mis le parcours des tablettes pour savoir comment on les charge, comment on les nettoie. Donc on avait des tablettes, mais l'appli était pas finie. Et je me rappelle, c'était l'époque de Candy Crush. Et on voyait déjà que les enfants étaient obnubilés par Candy Crush, mais il y a eu certains, je me rappelle, de notamment un petit garçon qui avait des troubles autistiques. Ses parents disaient « Il ira jamais au bloc. » Il était tellement dans Candy Crush qu'il est parti au bloc. Sauf qu'à un moment, il a levé la tête et il n'avait rien vu. Il était tellement dans la tablette qu'il n'avait pas vu que ses parents étaient plus là. Il se retrouvait dans une salle de bloc, il n'avait pas compris et c'était panique à bord. Donc on s'est dit « Ça aide à un moment, mais si on leur explique pas et s'ils sont pas avec nous. Il faut le sortir à un moment. Et là, c'était trop immersif. Donc on s'est dit « C'est pas bien”
L'appli qu'on a réalisée, comme c'était aussi avec des interactions avec le personnel, les enfants dans le couloir, ils doivent chercher des affiches, mais c'est les brancardiers qui connaissent les affiches et le parcours. Il y a un code à un moment, c'est vraiment interactif. Après, il y a des moments où le jeu est très immersif et qu'on les a placés aux endroits où c'était le plus difficile pour les enfants. Quand ils laissent les parents, que c'est un moment un peu anxiogène. Là, il y a un jeu où il faut attraper des poissons qui existent en réel dans notre bloc, ce qui nous a permis de décorer le bloc. Ces poissons tombent dans un aquarium sur le lit, dont l'enfant doit la rattraper. Tout comme ça est en interaction et finalement, même de s'endormir au bloc, ça devient le jeu en lien avec la tablette. La consigne dans la dernière étape, c'est il y a le doudou qui a son masque, comme l'enfant, et il doit respirer pour faire plus de 25. À ce moment-là, on lui dit « Sur l'écran du respirateur, quand tu vas faire des montagnes, il va falloir que tu fasses plus de 25.
C’est des chiffres dont on a besoin, nous, pour monitorer l'anesthésie. Mais en tout cas, on a fait vraiment un lien. Et moi, c'est les premières fois où j'ai vu des enfants s'endormir tout seuls sans qu'on les touche. Parce qu'ils étaient à fond dans leur jeu et on pouvait leur expliquer que c'était comme ça qu'ils allaient s'endormir pour être opérés, resituer les choses. Ils sont à l'hôpital et qu'on les retrouve tout de suite après et que ça permettait vraiment une autre relation.
Fouad Souak
Et puis le truc qui est absolument incroyable aussi, on revient là- dessus, comme sur les petits doudous, ça n'aide pas simplement l'enfant. Non. Ça aide aussi le personnel soignant. Ça vous permet de bosser dans de meilleures conditions.
Nolwenn Febvre
Oui, voilà. Parce qu'endormir un enfant qui joue, c'est plus facile qu'un enfant qui pleure. Moi, je m'en lasse pas et j'ai une très belle photo de Léa avec un enfant au bloc qui est en train de s'endormir calmement en respirant dans son masque. Et voilà, il y a toute la bienveillance de tout le monde de ce moment- là. Et c'est vrai que je pense qu'il n'y a pas que moi, on a réalisé qu'on pouvait le faire comme ça. Et que finalement, même un enfant, je me rappelle aussi de quand un enfant vient pour une intervention chirurgicale, il a besoin d'être dans une certaine position sur la table d'opération. Et finalement, de les laisser assis en tailleur pour s'endormir et qu'on les bouge après, ça n'est pas important. C'est les chirurgiens de dire « Oui, on va attendre qu'il s'endorme et on l'installera après », ça n'a pas d'importance. Donc ça a changé aussi tous ces petits moments- là qui ont fait que c'est l'enfant qui est vraiment devenu au centre. Et le summum, ça a été... D'ailleurs, il m'avait un petit peu perturbée, ce petit garçon. Il était tellement à fond dans son jeu, dans son masque, il respirait tout seul et à un moment donné, il il m'a regardée et moi, j'étais en train de l'admirer, et il me dit « Mais tu fais rien ? ». Et c'est vrai, je faisais rien. Et j'ai dit « Bah, pour l'instant, non. Je regarde pour que tu t'endormes et après, je vais être là pour te surveiller et t'accompagner jusqu'à la salle de réveil. » Mais c'est vrai, je faisais plus rien. Je le regardais, j'attendais qu'il s'endorme et il fait tout le boulot. Je me suis dit « Mon métier a changé ce jour- là quand même. »ou plutôt que de le tenir et de l'endormir de force, de les laisser faire et de faire avec eux, c'était quand même vraiment un métier beaucoup plus facile pour moi. J'avais plus envie de partir, ça devenait un jeu et je le jouais le soir, c'était aussi de se dire « J'ai travaillé dans des bonnes conditions et j'ai bien fait mon travail aujourd'hui. » Et ça, c'est quand même une vraie satisfaction qui fait qu'on a envie de rester. Et donc on était contents. C'était à Rennes, les enfants s'endormaient en jouant et ça avait changé notre métier.
Fouad Souak
Tu l'as évoqué, tu l'as dit plusieurs fois, t'as parlé d'hypnose. Mais en réalité, ce que vous allez faire avec ce jeu- là, c'est pas autre chose que mettre en... Je ne sais pas comment on dit, mais en hypnose ces enfants- là, détourner leur attention, faire en sorte que des choses anxieuses pour ces enfants ne le soient plus. Il y a une démarche, il y a des choses qui ont été faites, des études aussi sur l'impact de ce jeu.
Nolwenn Febvre
Oui, le professeur Eric Vaudet, mon chef qui regardait ça un petit peu de loin, mais pas tant que ça, un jour, il m'a dit « Noël, je vois les enfants qui viennent avec ce jeu et on va faire une étude. On va comparer les enfants qui ont ce jeu versus ceux qui ont des médicaments et on va regarder l'impact sur l'anxiété. » Et on a mis l'école d'anesthésie dans la boucle.
Fouad Souak
Ça veut dire que vous avez quasi substitué les médicaments avec le jeu.
Nolwenn Febvre
Oui, tout à fait. Parce que les résultats de cette étude montraient que les enfants qui avaient cette tablette et ce jeu- là étaient beaucoup moins stressés que les autres et que l'anxiété et ces fameuses courbes que moi j'avais vu qui étaient croissantes, elles étaient toutes plates avec des scores très bas. Et donc ça a été une révolution. Et donc Eric Baudet a dit « On arrête, on prescrit ce jeu. »alors que moi ça a été un. C'est devenu une prescription. Ouais, prescription médicale. Alors là, moi, ça m'a scotché. Ce jour- là, j'ai dit « Ah ouais, là quand même... »ça va réussir.
Fouad Souak
Incroyable. Est-ce qu'on opère plus d'enfants parce que les temps de prise en charge et des actes chirurgicaux prennent moins de temps ?
Nolwenn Febvre
Non, on opère les enfants qui doivent être opérés. Par contre, je pense qu'on dit souvent que les enfants se réveillent comme on les a endormis. Quand ils s'endorment dans le calme, ils se réveillent mieux. Et il y a un impact aussi lié à la douleur, c'est que s'ils sont endormis dans des meilleures conditions et moins anxieux, ils vont être moins douloureux en post-opératoire. Et ça, ce n'est pas anodin..
Fouad Souak
Donc, ils passent moins de temps en réa, ils gèrent mieux la douleur ou moins plus de douleur, ou peut- être.
Nolwenn Febvre
Moins de douleur, tout simplement. Moins de douleur. Et aussi que finalement, comme moi, je travaille en salle de réveil, finalement, quand on avait un peu l'habitude, ils s'endormaient dans des conditions difficiles, le réveil était compliqué et donc on faisait des médicaments un peu pour les shooter et puis être tranquilles. J'exagère, mais quand même, il y avait une automatisation de certains médicaments où les gens se posaient pas la question « On en faisait, on en faisait, on on faisait. Et comme ils se sont réveillés dans des meilleures conditions, finalement, on s'est interrogés sur la systématisation de ces médicaments et maintenant, ça devient anecdotique d'en faire. On en fait quand il y a une faute, évidemment, et c'est normal, mais on en fait beaucoup moins et ça nous a amenés à réfléchir sur les faire autrement. Et ça, ces médicaments- là, ils avaient aussi un impact dans le service, moi qui suis sortie, qui suis allée voir mes collègues, qui m'ont dit quand ils ont tous eu du Nubain, ils passent tous leur temps à vomir derrière et en plus, ils sortent plus tard. Et donc finalement, voilà, c'est tout ça qui découle. Découle d'une prise en charge différente.
Fouad Souak
Et l'administration générale de l'hôpital était contente de faire des économies ?
Nolwenn Febvre
C'est sûr. On n'a pas trop valorisé ça, mais en tout cas, c'est sûr que ce qui est important, c'est les questionnaires. Et moi, j'ai eu ça de la satisfaction des usagers après, où les parents étaient contents, ça se passait mieux à la maison et les enfants sortaient plus vite. Et voilà, une autre étude importante aussi, c'est ce qu'on appelle les troubles du comportement post-opératoire. C'est une étude que j'avais vue qui m'avait aussi perturbée, c'est qu'il y a des enfants, même six mois après une intervention, qui avaient des troubles du sommeil, de la régression, de l'agressivité, dû au traumatisme de l'opération, donc de l'anesthésie. Et là aussi, on avait une responsabilité. Finalement, quand ça se passait mieux, que c'était une aventure plus qu'un traumatisme, ces troubles du comportement post-opératoire étaient moins importants après. Et forcément, ça, c'est pas négligeable. Ça veut dire qu'on travaille mieux, qu'on fait mieux notre boulot.