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[00:00:11.520] - Sarah Durieux
Je te jure, en ce moment, je commence à me dire que j'attends un peu trop souvent l'heure de l'apéro en fin de journée, puisque vu que les journées sont trop longues.
[00:00:20.170] - Fouad Souak
C'est vrai, les journées sont longues.
[00:00:21.350] - Sarah Durieux
Forcément, quand tu lances un nouveau truc, tu as vachement de boulot, beaucoup de choses à penser et tout. C'est toujours plus prenant et si t'as forcément une petite équipe aussi quand tu commences.
[00:00:35.070] - Fouad Souak
C'est Multitude Foundation, c'est ça ? C'est quoi ? Vas-y, on va attaquer direct.
[00:00:41.330] - Sarah Durieux
La fondation Multitudes, c'est une nouvelle fondation européenne qu'on a lancée au mois de juin 2023. L'objectif de la fondation, c'est de soutenir ce qu'on appelle les « Political changemakers », les gens qui travaillent sur la manière dont on peut réimaginer la politique et en particulier les gens qui travaillent à faire que la politique soit plus inclusive, plus humaine et qu'elle soit aussi porteuse d'espoir.
[00:01:03.220] - Fouad Souak
Tu ne trouves pas la politique d'aujourd'hui humaine ?
[00:01:06.020] - Sarah Durieux
Je pense que la culture politique et de l'exercice du pouvoir et de l'exercice politique, elle n'est pas forcément très humaine. Surtout, je pense que pour moi, humaine, c'est aussi à quel point elle prend en compte la diversité des humains. Aujourd'hui, je pense qu'en effet, elle est pas inclusive et qu'on a besoin de faire du travail pour que ça soit un endroit où les gens vont en se disant « C'est génial de faire de la politique, ça me permet de développer à la fois moi, mon potentiel, ce que j'ai envie de faire, mais aussi de faire des choses qui ont de l'impact. Notre but, c'est d'aider à ce que la politique soit un peu plus perçue et aussi agisse un peu plus comme ça. .
[00:01:36.850] - Fouad Souak
C'est vrai qu'en fait, aujourd'hui, quand on va dans une réunion militante de n'importe quelle partie, on n'a que des personnes âgées de plus de 65 ou 70 ans. On voit très peu de jeunes, très peu de cadres, très peu d'actifs, très peu de femmes aussi. C'est peu représentatif, non ?
[00:01:53.330] - Sarah Durieux
Oui, c'est peu représentatif. Oui, c'est peu représentatif, mais en fait, pour moi, je crois que c'est ça l'enjeu, c'est- à- dire comment est- ce qu'on fait le lien entre des militantes et des militants un peu historiques qui ont aussi fait l'existence de ces parties et des gens qui auraient envie d'agir politiquement, mais qui aujourd'hui ne rentrent pas forcément dans les codes de la politique plus classiques. Et aussi de faire le lien entre eux. C'est pour ça que moi, je me suis engagée dans cette fondation entre ce qui est de l'ordre de l'activisme et du militantisme hors parti.
[00:02:19.050] - Fouad Souak
Des gros mots, non ?
[00:02:21.120] - Sarah Durieux
Moi, je suis une fervente défenseuse du mot activiste. Je pense que c'est un mot qui porte beaucoup et quand on regarde la racine du mot, c'est l'idée, c'est « activism », c'est l'action directe de personnes concernées par des problématiques et qui ont envie de s'engager dans l'espace politique. Je pense que c'est bien. Je pense qu'il faut inciter les gens à faire ça. Et puis aussi, pour moi, ce qui est important dans le mot « activisme », c'est aussi de dire qu'il y a une question d'engagement qui n'est pas juste de la réflexion, mais qui est de l'action. Et je pense que c'est quelque chose qui est à la fois porteur de nouvelles idées. C'est souvent en agissant et en se mettant en contact de la réalité qu'on peut développer de nouvelles idées, de nouvelles compréhensions. Et c'est aussi un truc qui nous donne de la dynamique à tous pour avancer. Moi, je défends « corps et âme », le mot « activiste », je pense que c'est un mot à qui il faut redonner tout son sens.
[00:03:07.780] - Fouad Souak
En vérité, je suis plutôt, voire très d'accord avec toi. C'est une bonne introduction. Mais avant de continuer plus loin, ce qui serait plutôt cool, c'est que je prononce ton prénom et ton nom. T'es Sarah Durieux et tu es la directrice générale de Multitude Foundation. Le mieux encore, c'est que je te laisse te présenter.
[00:03:27.790] - Sarah Durieux
Je suis Sarah Durieux, je suis la Directrice générale de la fondation Multitudes. Je me définis comme une activiste, avec plein de formats différents et de plein de manières différentes. Je pense que je suis quelqu'un pour qui la question de l'équité de la justice est importante, sont importantes et je m'engage particulièrement sur l'idée que la question démocratique, elle est centrale, elle est un peu la mère de toutes les causes et aussi que la une démocratie qui fonctionne, c'est une démocratie qui est inclusive, où tout le monde peut être représenté.
[00:04:05.130] - Fouad Souak
On a quand même des démocraties qui ne fonctionnent plus.
[00:04:07.770] - Sarah Durieux
Pourquoi pas ? Oui, on est dans une situation compliquée et surtout, je pense qu' on a la chance d'avoir eu des visions de démocratie dans le passé qui aujourd'hui sont un peu... On s'est un peu trop attachés à l'idée que tout allait bien et que finalement, on était tellement des démocraties, on était tellement, en particulier la France, le pays de la démocratie, des droits de l'homme, que finalement, le déclamer ne veut pas dire que c'est effectivement vrai. Je pense qu'on a passé beaucoup de temps à parler de la démocratie en dehors de chez nous et qu'il faut aussi qu'on se pose la question de la démocratie chez nous et qu'on regarde un peu dans le miroir et se dire comment est- ce que nous aussi, on s'engage dans la défense de notre démocratie et aussi, et en constamment l'améliorer, la rendre plus efficace et la rendre plus juste.
[00:04:48.570] - Fouad Souak
Moi, je trouvais hyper intéressant de t'inviter parce qu' on a fait un épisode avec une femme qui s'appelle Roxane Fournier, qui est la directrice générale de M avance France. O n a eu l'occasion de discuter pendant un bon moment du lobbying des représentants d'intérêts, donc plutôt des acteurs économiques, de la manière dont ils défendent les intérêts d'entreprises. Là, on sera plutôt du côté du plaidoyer de la démocratie et plutôt des acteurs de la société civile. Mais tout ça, moi, ça me paraît très cocomitant. Ça ne s'oppose pas, ça se complète. C'est probablement plus développé par les acteurs économiques, probablement parce qu'ils ont des moyens financiers plus importants. Je m'interprète un petit peu comme ça. Mais aujourd'hui, la démocratie, c'est probablement cette scène sur laquelle tout le monde est censé s'épanouir un peu à la même vitesse ou au même moment, au même endroit. Et ce n'est pas le cas.
[00:05:40.630] - Fouad Souak
Je ne sais pas si ça a déjà été le cas. Je ne sais pas si on tend à avoir un peu plus d'harmonie. Mais je trouve qu'on a tous besoin aujourd'hui de défendre ces causes et tout le monde n'est pas entendu de la même manière.
[00:05:54.980] - Sarah Durieux
Peut-être pour réagir à ce que tu dis par rapport à ça. Moi, c'est marrant parce qu' à l'époque où je travaillais chez Changepoint, j'ai j'ai dirigé la plateforme Changepoint pendant quelques années et on parlait de lobbying citoyen, nous. D'ailleurs, on avait aussi envie de réattribuer le mot de lobbying, ce que ça voulait dire. C'est vrai qu' il y a une forme de lobbying qui est faite de manière pas transparente, de manière cachée, sans forcément aussi avoir à cœur l'intérêt général. Et moi, je pense qu'il y a une autre forme de lobbying qui peut être positive, qui est faite de manière transparente, qui est faite dans l'intérêt commun, qui est fait aussi avec des acteurs qui sont à armes égales, puisque comme tu l'as bien dit, on n'a pas tous les mêmes moyens. Donc moi, le cœur de mon engagement, c'est aussi de se dire « Est-ce qu'on a tous et toutes les mêmes outils pour influencer la décision politique ? » Parce que forcément, on a tous des intérêts propres, on a tous des moyens tous des biais aussi, parce qu'on voit le monde d'une manière différente. Mais la question, elle est, est- ce que le décideur politique, il est équipé pour prendre la bonne décision ?
[00:06:53.360] - Sarah Durieux
Et donc être équipé, ça veut dire aussi entendre toutes les voix. Et donc je pense qu'aujourd'hui, ce n'est pas le cas. On a besoin de construire, justement, comme tu le dis, une place démocratique dans laquelle chacun et chacune, qui qu'elle soit ou d'où qu'elle vienne, ait la possibilité d'influencer la décision politique, voire d'exercer le pouvoir.
[00:07:10.930] - Fouad Souak
Et pourquoi ce n'est pas le cas ?
[00:07:12.420] - Sarah Durieux
Je pense que ce n'est pas le cas parce que, est- ce qu'on doit faire toute l'histoire des inégalités sociales, économiques, de genre et je dirais même raciale, puisque c'est un sujet qui est important en France et qu'on a souvent du mal à aborder. O n n'a pas tous les mêmes outils parce qu' on est le fruit d'une histoire française et même d'une histoire globale de la l'humanité qui est faite d'inégalités et d'accès au pouvoir aux ressources qui sont inégalitaires. Pour moi, ce n'est pas spécifique au lobbying, c'est juste l'une des formes d'inégalité, c'est à quel point on a accès ou pas au pouvoir, à quel point on a la possibilité ou pas d'exercer le pouvoir. C'est hyper important, cette question- là, pour moi, parce qu'elle peut résoudre aussi beaucoup d'autres. Je pense que si on avait une démocratie dans laquelle on avait une meilleure capacité, en tout cas, de chaque personne à influencer ou exercer le pouvoir, la démocratie fonctionnerait aussi complètement différemment.
[00:08:05.070] - Fouad Souak
Tu n'as pas l'impression qu'on y tend un peu quand même ?
[00:08:08.480] - Sarah Durieux
Non, moi, je n'ai pas du tout cette impression.
[00:08:09.280] - Fouad Souak
Que les inégalités s'effacent. C'est une vraie question.
[00:08:13.630] - Sarah Durieux
La plupart des constatations qu'on voit, c'est que les inégalités augmentent. Je pense qu'on a vu les derniers chiffres.
[00:08:20.510] - Fouad Souak
Et que les droits ne progressent pas ?
[00:08:22.110] - Sarah Durieux
Là est la question. Je pense que quand on regarde la longue histoire, les droits progressent, mais l'effectivité des droits ne progresse pas forcément aussi rapidement. Ils ne sont pas appliqués. Ils ne sont pas appliqués. Si je prends la question de l'égalité femmes/ hommes en termes d'égalité salariale, si je prenais juste cet exemple- là, oui, officiellement, on n'a pas le droit de discriminer et de payer moins à une femme qu'à un homme. Sauf que dans la réalité des faits, tous les indices sont qu'il y a encore des différences de salaires entre des personnes qui exercent des postes similaires. C'est la même chose sur plein d'autres. Moi, je pense que le droit est important. Je crois à l'état de droit. Je crois au fait que la réglementation, la législation nous permet d'avancer en tant que société, mais qu'on a aussi comme responsabilité, à la fois comme citoyen, mais potentiellement aussi comme responsable politique, de s'assurer de l'effectivité de ces droits et de comprendre qu' on opère dans un système complexe et que parfois, même si la loi édicte l'égalité, l'égalité n'est pas réelle.
[00:09:12.850] - Fouad Souak
C'est pour ça que des plateformes comme Change.org existent.
[00:09:17.870] - Sarah Durieux
Je pense que plus spécifiquement, des plateformes comme Change.org existent et ont été lancées parce qu'il y avait une vraie question qui est — puisque tu as parlé de lobbying tout à l'heure — comment est- ce qu'on crée un outil qui permet à des gens concernés par des problématiques de créer du pouvoir collectif afin d'influencer les responsables politiques. Comment est- ce qu'on passe de « Je suis toute seule ou tout seul dans mon salon » face à une complexité, une difficulté individuelle ? Et comment j'en fais, finalement, une campagne collective qui devient d'ailleurs un problème individuel, devient un problème politique ? Je peux donner quelques exemples là- dessus, mais le gros du travail, c'était d'offrir un outil qui permet de construire du pouvoir collectif pour entrer dans la discussion politique avec les responsables.
[00:10:00.190] - Fouad Souak
Ça existe toujours, mais ça fonctionne comment ?
[00:10:04.760] - Sarah Durieux
Je bosse plus depuis deux ans, mais je te fais quand même une présentation. On peut faire une petite parenthèse, carrément. À l'époque où j'ai rejoint, c'était de permettre à des gens de lancer des pétitions. La pétition qui est quand même un outil qui est intéressant puisque c'est un outil que la plupart des gens comprennent.
[00:10:19.890] - Fouad Souak
Oui, la pétition, tout le monde connaît.
[00:10:21.860] - Sarah Durieux
C'est facile à aborder, c'est facile à comprendre. Si vous êtes face à une difficulté dans votre vie, je n'en sais rien, vous ne pouvez pas scolariser votre enfant et je vous dis « Venez, vous faites une campagne de plaidoyer. Vous allez me dire « Mon Dieu, de quoi vous me parlez ? » Si je vous dis « Vous pouvez faire une pétition ? » tout de suite, il y a une compréhension de qu'est- ce que c'est que l'outil pétition ? C'est quelque chose que les gens ont déjà vu, signé, lu, etc. Le point d'entrée, c'était la pétition qui était postée sur la plateforme. M on équipe et moi, ce qu'on faisait, c'était qu'on travaillait avec les personnes qui lançaient des pétitions, justement, à construire la stratégie de plaidoyer autour de cette campagne.
[00:10:55.210] - Fouad Souak
Est-ce qu'il ne suffit pas d'écrire, puis ensuite de signer une pétition pour qu'ensuite, elle ait un effet ?
[00:11:00.600] - Sarah Durieux
Non. C'est un outil. Pour moi, la pétition, finalement, elle a trois fonctions. Elle a une fonction, je dirais, de plateforme politique, de dire « Voilà ce pour quoi on se bat, en tout cas, ce qu'on défend, ce qu'on revendique. » La deuxième, elle a une fonction de montrer le soutien populaire. On est 100, 200, 2 000 à avoir signé. Et la troisième, elle est aussi, et pour moi, je pense que c'est là où j'ai trouvé le plus d'intérêt dans le travail que j'ai fait chez Change. Org, c'est que c'est un outil d'organisation collective. C'est- à- dire que c'est un point de départ, c'est une maison, c'est comme un quartier général pour organiser des gens et d'une pétition, construire un mouvement de personnes qui peuvent se retrouver, stratégiser ensemble, mener des actions. Je trouve que c'est en ça un outil assez intéressant pour amener des gens qui ne sont pas politisés au moins quand j'utilise le mot « politisé », c'est au sens actif dans l'espace politique large, donc pas uniquement partisans. Des gens qui ne sont pas engagés, qui ne sont pas militants, de leur permettre de comprendre d'abord pourquoi ils sont face à une situation et ensuite de construire une mobilisation d'agressions qui a un impact politique à terme.
[00:12:02.770] - Fouad Souak
D'accord. Mais est- ce qu'en fait, finalement, à travers toutes les différentes pétitions, il y a des gens qui se retrouvaient, une communauté qui était organisée, des actions qui étaient menées par cette communauté-là ? Oui.
[00:12:15.970] - Sarah Durieux
Je peux donner des exemples concrets. Par exemple, puisque je disais comment on passe d'une problématique individuelle à une problématique collective et donc à une question politique. On avait une maman qui s'appelle Stéphanie, qui avait lancé une campagne parce que sa fille avait le TDAH, un trouble de l'attention avec hyperactivité. Ça pose des questions en termes de scolarité et l'accès à l'éducation nécessite l'accompagnement spécifique, etc, et aussi, une meilleure prise en compte par les médecins. En tout cas, face à ces difficultés, elle a lancé une campagne et finalement, en lançant cette campagne, elle a eu plein de gens qui ont signé, qui ont dit « Moi aussi, mon enfant a aussi ce problème », etc. Elle a constitué autour de la pétition en point de départ, finalement, un réseau de parents concernés qui ont ensuite sont devenus eux- mêmes les lobbyistes en chef de la pétition dans leur département auprès de leurs responsables politiques. On voit comment cette cristallisation peut- être autour d'un cas particulier, elle peut aussi générer du collectif et elle peut être un point d'entrée pour les gens pour qu'ils viennent s'engager sur une campagne collective.
[00:13:18.590] - Fouad Souak
C'est drôle parce qu'il y a toutes ces personnes qui, à un moment, passent une étape de leur vie difficile, comme la parole. Écrivent un livre, par exemple, se sentant seules au monde, sans autre expérience autour d'eux. E nsuite, ils vont recevoir plein de courriers, plein de témoignages qui viennent un peu les réconforter. Ils brisent un peu la solitude et ils se disent « Quelle est l'étape supplémentaire ? À quoi va servir mon livre ? » Ce qui est intéressant dans ce que tu dis, c'est qu'au final, on n'est jamais tout seul dans ces combats, qu'on peut avoir des plateformes qui agrègent un peu toutes ces volontés et puis ensuite, transforment en actions politiques.
[00:13:57.450] - Sarah Durieux
D'ailleurs, pour moi, c'est tout le sens d'une action efficace, d'une action évidemment, c'est comment on passe du « je » au « nous ». Excuse- moi, je t'ai interrompu, mais- Non, mais vas-y.
[00:14:05.530] - Fouad Souak
Je voulais alimenter la conversation et te faire parler le plus longtemps possible.
[00:14:10.230] - Sarah Durieux
Pour moi, c'est le sens, puisque tu t'intéresses à la question des discours et à ce qui mobilise les gens. Je pense qu'il y a un truc qui est fondamental que j'ai compris chez Change, et après, j'ai compris qu'il y avait des gens qui avaient théorisé ça ailleurs avant, pendant, etc, ces expériences chez Change, c'est que la force d'un discours politique — et quand je dis politique, encore une fois, tu as bien compris que j'utilise ce mot avec une exception assez large — c'est l'idée de passer de l'individuel au collectif et donc de passer de mon histoire à notre histoire. Mon histoire, ce n'est pas uniquement ce que je vis concrètement. Par exemple, Stéphanie, je ne peux pas avoir une éducation de qualité pour ma fille, mais c'est aussi « Quelles sont mes valeurs derrière ? Avoir juste envie que tes enfants s'épanouissent et soient heureux. Ça, c'est un « nous » qui peut parler à beaucoup d'autres gens. Dans les gens qui ont signé la pétition de Stéphanie, il n'y avait pas que des parents qui étaient aussi concernés. Il y avait juste des parents. Le fait d'être parents, c'est une expérience commune qu'on peut construire en un « nous » politique et qui peut nous amener ensuite à agir ensemble.
[00:15:08.300] - Sarah Durieux
Je trouve que c'est ça qui est assez fondamental pour moi. Quand tu parles des gens qui écrivent des livres, on pose toujours la question de l'importance du témoignage individuel. D'ailleurs, c'est quelque chose qu'on oppose beaucoup dans les milieux militants en disant « Non, on ne parle jamais individuels. Il faut toujours parler collectif. » Je pense qu'il y a de la valeur à construire du collectif en reconnaissant les individualités et aussi la force de nos expériences personnelles. Ça, c'est quelque chose qu'on utilise dans le travail d'activisme qu'on fait, mais qui s'est prouvé vrai dans plein d'autres contextes. Par exemple, les Alcool Inc. Anonymes, c'est ça le concept. C'est mon expérience qui devient une expérience commune, qui crée un sentiment de cohésion, de soutien et qui fait que les gens vont mieux. Mais c'est aussi vrai, le mouvement #metoo, c'était ça aussi. C'était dire « Moi aussi. » et c'était dire « J'ai vécu ça, j'ai vécu ça. » Donc non, ce n'est pas un cas individuel. En fait, c'est un fait politique, c'est une problématique qui est systémique et à laquelle on peut aussi amener une réponse politique.
[00:16:02.240] - Fouad Souak
La difficulté que je vois et je pense immédiatement au gilet jaune, parce qu' à l'époque de ce mouvement, en tout cas à l'émergence de ce mouvement, c'était quand même des cas individuels, la difficulté à se déplace et à mettre beaucoup d'argent dans une taxe sur l'essence supplémentaire. Déjà qu' on manque de pognon pour les personnes les plus défavorisées ou les plus éloignées des centres urbains, on va se mobiliser. On fait de cas personnel le témoignage d'un cas plus individuel des collectifs d'un fait société. On a parfois vu justement toute la difficulté de ces individualités à se mettre en branle et à se mettre en collectif. Ça a très bien marché pour le coup, parce qu'il y a des mobilisations. Ils ont obtenu quand même pas mal de gages financiers supplémentaires. Donc, je pense qu' d'une certaine manière, ça a été un succès. De l'autre, ils ont tenté de s'organiser politiquement. C'est aussi ça qui compte et on y viendra avec Multitude Foundation. Ils ont essayé de s'organiser, mais le collectif s'est arrêté à la porte du leadership. Comment on fait pour défendre une cause quand une communauté a du mal à se représenter à travers une figure, quelle qu'elle soit ?
[00:17:12.480] - Fouad Souak
On se souvient à l'époque, c'étaient les Européennes, les sont complètement passés à côté de représenter les intérêts beaucoup plus larges des Français en difficulté, pour parvenir à avoir.
[00:17:23.410] - Sarah Durieux
Des élus. Oui. Je trouve ça intéressant de t'amener la question des gilets jaunes parce que d'abord, il y a deux trucs que tu poses, c'est que c'est quoi l'impact de ce mouvement ? Et la deuxième chose, c'est comment on lit la potentielle structuration politique de ce mouvement dans des objectifs électoraux ?
[00:17:39.200] - Fouad Souak
Parce que ça peut pas être un.
[00:17:40.150] - Sarah Durieux
One shot. D'abord sur le mouvement, je pense qu'il faut voir l'impact très long terme que ça a. C'est- à- dire que pour moi, ça a révélé l'existence d'une partie d'une sociologie de la population qui était complètement oubliée d'ailleurs partout, le spectre politique.
[00:17:53.990] - Fouad Souak
Et invisibilisée.
[00:17:54.330] - Sarah Durieux
Et invisibilisée. Ça, en termes d'impact, je pense en termes de changement. Il faut pas oublier quand même, c'est quand même depuis... Je ne voudrais pas faire d'erreur, mais je pense que c'est le mouvement le plus large, spontané, organique, le mouvement social le plus large et le plus spontané et organique qu'on a dans notre histoire. Dans notre histoire moderne.
[00:18:16.210] - Fouad Souak
Ça a dépassé 95.
[00:18:17.940] - Sarah Durieux
Sauf que 95, c'était aussi organisé par des syndicats. Il y a vraiment quelque chose qui s'est passé avec le mouvement gilet jaune.
[00:18:23.800] - Fouad Souak
Ça, on peut parler. Le rôle de syndicat.
[00:18:25.890] - Sarah Durieux
Effectivement, je le dis. Après, ce qui était génial, c'est que ça a été suivi et accompagné, structuré dans certains espaces par des syndicats, par des associations, même par des partis politiques, ce qui est super. Mais il y a quand même cette espèce d'irruption très...
[00:18:38.160] - Fouad Souak
Ou récupérée.
[00:18:39.230] - Sarah Durieux
Avant et après, pour moi, le gilet jaune, c'est un nouveau type de mouvement social. Pour moi, pour le coup, pour avoir bossé sur la pétition qui était aussi un des éléments qui a été structurant dans ce mouvement, c'est quand même partie d'une pétition d'un million et demi de personnes qui n'avaient pas de maison politique jusqu'à ce moment- là. Je trouve ça hyper intéressant quand on regarde la sociologie, c'est que la plupart des gens n'étaient pas des gens qui étaient déjà des gens militants. Alors après, il y a des gens militants qui vont rejoindre, mais il y a quand même une énorme partie du mouvement qui sont des gens qui ne s'étaient jamais engagés. Et la personne qui a mené la campagne, d'ailleurs, à la pétition Priscilla Ludoschi, est un bon exemple du type de personnes qui ont rejoint ce mouvement. Et donc, moi, ça m'amène à dire c'est quoi l'impact de ce mouvement ? C'est une nouvelle existence politique d'un groupe social ignoré. C'est une nouvelle manière aussi de s'engager dans l'espace public de manière très spontanée, très décentralisée, etc. Et ça amène forcément des challenges sur la structuration. P our moi, je pense qu'il faut se rappeler que les gens étaient des gens qui n'étaient pas des professionnels, justement, du militantisme, qui n'étaient pas payés pour faire ça.
[00:19:42.340] - Sarah Durieux
Et il faut se dire que quand même qu'un mouvement qui a duré quasiment un an, une fois par semaine, d'avoir des gens qui se réunissaient. Une fois par semaine, d'avoir des gens qui se réunissaient. C'est énorme. Moi, j'aime repenser aux gens. C'est des gens qui ont du boulot, un travail, des enfants, probablement des engagements familiaux ou autres.
[00:19:58.860] - Fouad Souak
Associatifs, familiaux.
[00:19:59.700] - Sarah Durieux
Et donc, le fait d'avoir duré aussi longtemps, pour moi, c'est déjà un truc... Après, sur la structuration politique, je pense que c'est justement pour ça qu'il faut qu'on ait des organisations que nous, on aimerait soutenir avec multitude, qui réfléchissent à « Comment est-ce qu'on fait le lien entre ces mouvements, ces engagements-là ? » Ces activistes, d'ailleurs pas forcément massifs comme les gilets jaunes, mais aujourd'hui, il y a plein de mouvements très locaux aussi qui s'organisent. Comment on les aide à trouver leur place dans l'espace politique institutionnel ? Et aujourd'hui, il n'y a pas d'écosystème pour ça. Si on regarde complètement- Mais pourquoi est- ce qu'il n'y a pas d'argent pour ça ? Je suis désolée, je vais mettre les pieds dans le plat tout de suite.
[00:20:32.520] - Fouad Souak
Carrément, c'est ce qu'on veut.
[00:20:33.250] - Sarah Durieux
c'est qu'aujourd'hui, la plupart des ONG fonctionnent avec soit des financements publics, soit des financements privés qui émanent soit de donateurs individuels, soit de philanthropies, soit d'entreprises- On est en mesure à qu'elles soient familiales et qu'aujourd'hui, ni les pouvoirs publics ne financent les initiatives démocratiques, ni les donateurs privés ne le font. Parce qu'en fait, personne n'ose se frotter à la question démocratique, alors que c'est fondamental. Parce qu'on a un truc central qui est ça qui est que tout notre système ne peut fonctionner que si on a une démocratie et un système politique qui fonctionnent bien.
[00:21:05.300] - Fouad Souak
Il y a des impôts qui financent les partis politiques. Il suffit de créer un parti politique, on a de la dette fisque.
[00:21:10.430] - Sarah Durieux
Et puis on récupère un peu de- Sauf que le parti politique, moi, ce n'est pas ça que je parle. Moi, je parle d'un écosystème qui permet la structuration de l'espace politique en dehors des partis. Nous, c'est à ça qu'on... Pas en dehors, au sens pas du tout en interaction avec, mais aujourd'hui, on a besoin d'avoir des structures qui réfléchissent, par exemple, à la manière dont on rend la politique plus inclusive, par exemple. Comment est- ce qu'on fait pour que des gens comme ces gilets jaunes dont tu parles, qui ont envie d'aller en politique, qui ont envie de continuer leur engagement dans l'espace institutionnel, comment est- ce qu'on leur donne les outils, l'accompagnement pour pouvoir le faire ? Comment est- ce qu'on fait en sorte que les partis politiques, par exemple, aient une vraie réflexion sur la question de l'inclusion ? Toutes les grosses boites aujourd'hui ont des réflexions sur diversité- inclusion. Il faut qu'il y ait des organisations indépendantes externes aux partis qui travaillent sur cette question de l'inclusion dans l'espace politique. Comment je parle d'écosystème qui travaille sur la politique, je parle d'un écosystème d'associations, d'organisations, de collectifs dont le but principal, c'est de rendre la politique plus efficace, plus inclusive et du coup, je reviens à mon truc de départ, plus humaine.
[00:22:12.250] - Sarah Durieux
Cet écosystème, très honnêtement, il vivote avec très peu de sous uniquement autour des moments électoraux et on a besoin de lui permettre de se structurer justement pour sortir du pur électoral. O n a besoin de trouver des ressources et nous, en gros, c'est ça qu'on fait chez Multitude. On va chercher des ressources financières pour leur permettre de se développer.
[00:22:31.340] - Fouad Souak
Tu as raison. Quand on y repense, en vérité, on ne finance pas la vie démocratique du pays.
[00:22:36.670] - Sarah Durieux
Pas du tout. D'ailleurs, il y a un super travail qui a été fait, notamment par l'association Démocratie Ouverte, sur des pistes d'action. En gros, qu'est- ce qu'il faudrait financer dans la démocratie. Ce qu'il faudrait financer dans la démocratie. D'ailleurs, c'est un rapport qui a été discuté aussi au niveau du gouvernement il y a quelques temps. Mais c'est un vrai sujet de tabou parce que je pense qu'on a du mal avec la politique dans notre pays. Et puisque moi, je travaille au niveau européen, pas que en France, mais en fait, on a peur de parler politique. On pense que la politique, c'est forcément partisan, alors qu'en fait, il y a beaucoup de travail à faire sur la question politique qui peut ne pas être partisan ou qui peut être transpartisan. La manière dont fonctionne notre culture politique, elle peut être questionnée, elle peut être challengée. Moi, je travaillais, par exemple, j'ai fait un atelier avec des femmes qui sont en politique. On a travaillé pendant trois jours sur quels sont les freins à l'inclusion des femmes dans l'espace politique et dans les fonctions de leadership politique. Les freins, ils sont partout. Et les freins sont dans tous les partis.
[00:23:29.380] - Sarah Durieux
Donc, je veux dire, on est on a besoin de vraiment avoir cette... De casser nos barrières mentales à se dire « On peut travailler dans le politique.
[00:23:36.920] - Fouad Souak
» C'est-à-dire que dans les partis, une femme aujourd'hui, tu l'as dit, déjà, elles sont moins bien payées. Le mode de garde, elle fait garder les enfants encore des femmes, donc elles peuvent pas aller dans les assos ou dans les partis politiques, même si vous avez envie de s'y engager. Déjà, matériellement, il y a des freins.
[00:23:54.820] - Sarah Durieux
Oui, il y a des freins et du coup, il faut en discuter ensemble. Et je trouve que sous prétexte de pas vouloir être partisans ou d'avoir peur de montrer qu'on serait plus avec l'un qu'avec l'autre. Du coup, on ne fait rien du tout et on se retrouve dans une situation où notre système politique, il est décevant. Du coup, les gens ne votent plus et on se retrouve avec une démocratie qui ne fonctionne pas.
[00:24:12.150] - Fouad Souak
Est- ce que tu trouves qu' en France, est- ce qu'on a ou est- ce qu'on n'a pas ou est- ce qu'on a moyennement une culture du parti politique ?
[00:24:19.930] - Sarah Durieux
C'est une très grosse question que tu me poses. Moi, je suis née en 84, donc je vais aussi parler de ma propre expérience du parti politique. Je pense qu'en fait, pour moi, le parti politique, c'est un outil électoral et c'est malheureusement aujourd'hui qu'un outil électoral. Alors que dans la vie- Ça devrait être un outil d'idée. En fait, un parti politique, pour moi, il devrait avoir trois fonctions. La première fonction, c'est les idées, en effet, mais pas simplement produire des idées, mais générer les réflexions dans l'espace public pour que tout le monde y participe. Ce n'est pas juste s'enfermer à dix dans une salle pour pouvoir faire une proposition programmatique, mais est- ce qu' un parti politique, ce n'est pas d'abord un animateur civique ? Est- ce que ce n'est pas une organisation dont le but, c'est de faire réfléchir les gens pour essayer de construire des idées, soit nouvelles ou en tout cas des idées qui fonctionnent pour tout le monde ? La deuxième chose, le deuxième objectif, pour moi, c'est un parti qui est le parti devrait avoir pour objectif de faire du développement du leadership. Aujourd'hui, il n'y a plus d'écoles. Il n'y a plus d'écoles de formation. Là, LFI a annoncé qu'ils relançaient leur école de formation. On sait aussi que Marion Maréchal Le Pen a une école de formation donc les partis politiques doivent se poser la question de « Comment est-ce qu'ils permettent à des nouvelles générations d'entrer dans l'espace politique, de se former, etc. ? » Et puis après, il y a quand même la fonction élective. Je ne veux pas le nier, c'est- à- dire qu'un parti politique, c'est aussi un outil important pour définir qui va détenir le pouvoir en fonction d'une ligne programmatique. C'est juste que pour l'instant, on a l'impression que c'est vraiment « Comment est-ce qu'on peut uniquement s'accrocher à la question électorale sans se poser la question des autres fonctions ? » D'ailleurs, si les autres fonctions étaient bien remplies, je pense que ça aurait un impact significatif sur la capacité électorale de chacun de ces partis.
[00:26:02.860] - Fouad Souak
Donc, une meilleure participation, c'est une vie politique des citoyens, parce que c'est ce qu'on veut.
[00:26:08.550] - Sarah Durieux
Je crois qu' on dit « tous » et je m'inclus dedans, oui, on veut que les citoyens participent plus, etc, mais qu'est- ce qu'on met concrètement en place pour que les gens participent ? Pour moi, il y a une vraie question de... Je vais essayer d'être diplomate. Non. Il y a une vraie question. Moi, j'ai commencé à travailler chez Change. Org, on a eu trois phases. On a eu la première phase de « Vous n'existez pas, ceci n'est pas un phénomène. » Les pétitions citoyennes- Ah oui ? C'est vrai ? Oui. Je ne citerai pas l'homme politique qui a dit « Ce ne sont pas les pétitions qui font la politique. » Je vous laisserai googler qui a dit ça. Ensuite, il y a eu une forme de compréhension de l'importance du phénomène et donc une prise en compte de ce phénomène.
[00:26:55.640] - Fouad Souak
Une fois qu'ils n'ont plus le choix.
[00:26:56.710] - Sarah Durieux
Une fois qu'ils n'ont plus le choix. Maintenant, je pense qu'on est dans une phase que moi, j'appellerai le participation washing. Le participation washing, c'est- à- dire qu'en fait, quand on ne veut pas prendre une décision politique, on la remplace par un processus de participation citoyen, qui n'est absolument pas contraignant, dont les termes sont en général très flous sur qu'est- ce qu'on va faire concrètement de la participation. Je vais donner deux exemples. Le Grand Débat national, c'est un problème immense ce qui s'est passé, parce qu'en fait, quand on propose aux gens de participer, mais qu'on ne suit pas des faits, l'impact est plus négatif que si on ne leur avait jamais demandé de participer, puisqu'en fait, il y a une frustration à se dire « On a quand même pris de notre temps et de notre énergie. Mettez- vous à la place de n'importe quelle personne. Si vous passez cinq jours à bosser sur un truc et que quelqu'un vient et dit « C'était super, mais du coup, je ne vais rien en faire. » On refait ça avec la convention citoyenne. J'allais redonner une deuxième exemple. Aujourd'hui, je pense qu'il y a un vrai sujet de dire « Moi, je suis très favorable à l'idée d'une gouvernance qui est beaucoup plus appuyée sur la participation des citoyens. Mais ça ne peut pas devenir un outil de gestion de crise.
[00:27:59.670] - Fouad Souak
C'est ça qui est terrible, c'est qu'on revient toujours aux institutions, en vérité. À un modèle démocratique qui repose sur des institutions qui ne sont pas du tout adaptées à une meilleure inclusivité, représentativité, implication des citoyens.
[00:28:12.460] - Sarah Durieux
Honnêtement, ça peut être changé et il y a beaucoup de choses qu'on peut faire très rapidement et très facilement qui vont significativement changer les choses. Je vais donner deux exemples concrets. Aujourd'hui, je vais parler vraiment — parce que c'est ce qui m'intéresse spécifiquement chez Multitude en ce moment, mais je vais parler de la manière dont on définit qui sont les personnes qui vont être investies pour des mandats électifs. Aujourd'hui, aucun parti politique n'a un processus d'identification et de décision collective et transparent sur qui va être la tête de liste sur telle ou telle élection, qui va se présenter. Rien que ça, c'est parce que pour moi, il y a vraiment beaucoup de gens qui sont des gens de valeur et qui n'ont pas aujourd'hui la possibilité d'exercer des mandats, aussi parce qu'ils sont en dehors des partis ou alors parce qu'ils sont dans un niveau géré hé hiérarchique du parti qui ne leur donne pas accès. Retrouver déjà ça, ça me semble pas être quelque chose de complètement impossible. Je dis pas que ce n'est pas techniquement du travail, mais je dis que ce n'est pas quelque chose qui est impossible à faire et qui peut significativement changer la manière dont on voit la politique et dont on voit les responsables politiques.
[00:29:17.060] - Fouad Souak
Tu as pas identifié un parti politique qui était un peu plus d'avance sur ces questions-là ?
[00:29:19.850] - Sarah Durieux
Là, tu veux me piéger pour que je dise qui sont les bons et les mauvais élèves ?
[00:29:23.940] - Fouad Souak
Non, pas du tout. Non, mais parce qu'en vérité, c'est un sujet extraordinaire que tu poses là, parce que j'ai aussi beaucoup de choses à dire là- dessus. Mais d'abord, on est là pour t'écouter. Puis ensuite, je pense que je n'ai pas envie de me faire bâcher plus tard. C'est vrai qu'il y a quand même des partis politiques, peu importe leur philosophie, leur culture, leur organisation, qui essaient de choisir leurs candidats, mais dans quelles conditions ? Pourquoi ?
[00:29:46.470] - Sarah Durieux
Je trouve qu'il y a des barrières à ce choix-là.
[00:29:51.710] - Sarah Durieux
Il y a des questions individuelles. Et après, il y a une question plus structurelle qui est aussi la question du financement des partis politiques c'est que je pense qu'aujourd'hui, on le sait, le plus gros du financement des partis, c'est le nombre de sièges qu'ils vont pouvoir avoir dans différents conseils ou à l'Assemblée nationale, en gros. Et donc forcément, moi, je suis très empathique avec des partis qui sont sous- financés. Par rapport à l'ambition, je pense, que il devrait y avoir des partis politiques. Si on suit la vision que je dis de ce que devrait être un parti politique, il devrait avoir beaucoup plus de ressources pour le faire. O n se retrouve dans une situation où on a des partis qui, en tout cas pas pour tous, mais pour certains, pour la plupart, ont très peu de ressources et se retrouvent dans une situation d'optimiser l'investissement de certaines personnalités politiques en fonction de leur temps, de leur loyauté envers le parti, etc, parce qu'on se dit « Au moins, si la personne a le siège, on peut être sûr qu'on va pouvoir avoir des financements et donc on va sécuriser aussi l'existence et les activités de notre parti. J'ai envie de dire c'est humain et compréhensible. Comment est- ce qu'on peut aussi lever ces barrières- là ? O n a des modèles intéressants. En Allemagne, par exemple, le modèle des fondations de partis politiques dont l'objectif, d'ailleurs, n'est pas électoral. C'est financé par l'État. Chaque groupe politique, en fonction du nombre de sièges, reçoit une enveloppe qui lui permet de développer des activités d'éducation populaire, de participation et tout, donc de faire des activités...
[00:31:14.430] - Fouad Souak
Ça, c'est fléché, ça.
[00:31:15.910] - Sarah Durieux
C'est fléché, mais c'est assez intéressant comme modèle parce que c'est aussi un modèle de financement de la vie politique au sens politique-partisan qui est assez intéressant. O n a plein de modèles à explorer et je pense qu'on peut aussi inventer des choses, mais il faut trouver un moyen pour ces parties de pouvoir bien travailler. Vraiment, c'est important. Moi, je trouve qu'il faut qu'il y ait des ressources pour bien faire le travail.
[00:31:39.050] - Fouad Souak
Est-ce que déjà, tu penses que les partis ont envie de bien travaillé ? C'est marrant parce que déjà, les partis politiques sont un organisme vivant à part entière. On voit très bien les membres de partis qui considèrent que le parti est au- dessus de tout. Je trouve ça déjà un peu problématique en vérité. Et puis après, à l'intérieur de ces partis- là, tu as quand même des personnalités qui ne sont plus accrochées aux idées. Et pour les raisons que tu as citées, plutôt accrochées au siège, on aura plus de renouvellement de génération, on aura moins de représentation. On aura souvent, en vérité, que ce soit à gauche ou à droite, des partis politiques qui vont appliquer les mêmes méthodes. Et si on a envie d'atteindre un niveau de gouvernance comme en Allemagne, mais il faut que ce soit les institutions et le gouvernement, et donc un parti politique au final qui décide de changer les règles du jeu. Est- ce qu'on ne revient pas finalement à cette question qu'on se pose depuis le début ? Comment les citoyens peuvent- ils agir pour essayer d'aboutir à ces changements aussi importants et qui donnent le tempo et la température de notre démocratie ?
[00:32:44.560] - Sarah Durieux
C'est pour ça que moi, je pense que je veux vraiment ne pas être... J'espère que ce n'est pas comme ça que notre discussion est perçue, être dans une espèce de politique bashing, de dire à tous les hommes politiques et les femmes politiques « Ce sont des qui sont accrochés à leurs sièges et la politique.
[00:33:01.480] - Fouad Souak
Non, parce que ce n'est pas vrai.
[00:33:02.110] - Sarah Durieux
On le sait. Parce que ce n'est pas vrai et parce que je pense que ça participe du désengagement des gens en général et des citoyens dans l'espace politique. Je pense que c'est vraiment important qu'on soit tous conscients de se dire « En fait, on peut avoir de l'exigence, mais c'est important pour nous de ne pas avoir ce discours qui mettrait à mal notre travail qu'on essaie de faire. » Ça, c'est super important. Après, je crois que justement pour ça, on a besoin d'avoir un travail qui vient à la fois des partis politiques pour mieux expliciter leurs rôles, pour mieux les engager. Mais on a aussi un travail à faire des ONG, des associations, des collectifs, pour inclure beaucoup plus la question politique dans leur travail. Je ne sais pas comment dire ça, mais en rigolant, parfois, je dis que j'aimerais bien que les responsables politiques soient plus activistes et que les activistes soient plus politiques. Moi, je me rappelle avoir parlé à l'AGE d'une grosse association qui fait vraiment de l'aide aux personnes et qui sont vraiment dans une approche, je dirais, de solidarité, ce qui est super. P our moi, il n'y a pas du tout aucune question à poser là-dessus. Mais du coup, à quel moment on se pose la question de la racine systémique, de pourquoi on a besoin d'aller aider ces gens- là ? Comment est- ce qu'on peut politiser notre travail aussi en se disant « Il faut qu'on change le problème à la racine et il faut qu'on aille trouver les moyens de ne plus avoir à arriver en bout de course pour aider les gens qui sont dans la difficulté. » Je pense que c'est un important pour les associations d'inclure la question du plaidoyer, d'inclure la question du politique dans le travail qu'elles font, et quand bien même, le cœur de leur travail, c'est l'accompagnement, c'est le soutien en personne. P our moi, quand on arrive à faire ça et qu'on arrive à montrer que oui, le travail de plaidoyer, c'est important et oui, on peut travailler avec des responsables politiques qui vont soutenir nos revendications au sein de l'hémicycle, etc, ça peut participer à un réengagement dans l'espace politique et donc à un renouvellement de de la confiance dans les responsables politiques, mais aussi de la confiance des responsables politiques dans le travail citoyen.
[00:35:05.920] - Fouad Souak
Est-ce que tu crois pas qu'aujourd'hui, on fait reposer sur les épaules des associations un peu trop de responsabilités quand tu as ce besoin de changement ou de respiration démocratique ?
[00:35:20.680] - Sarah Durieux
Si, je suis complètement d'accord. Je trouve qu'aujourd'hui, les associations... Mais j'ai envie d'élargir, forcément, tu poses la question et on vient d'avoir l'appel des Restos du cœur qui disent qu' ils peuvent plus s'en sortir et qu'il faut absolument faire quelque chose. Je crois que c'est la fondation Abbé Pierre, un porte- parole dont j'ai pas retenu le nom, qui disait qu'en fait, les associations ne devraient pas être là pour répondre aux besoins sociaux, à tous les besoins sociaux de la population et que l'État a quand même une responsabilité.
[00:35:51.140] - Fouad Souak
Les associations ne peuvent pas se substituer à l'État.
[00:35:53.100] - Sarah Durieux
Elles peuvent pas substituer à l'État, absolument. Et puis surtout, ça veut pas dire pour autant que je pense pas que chaque acteur a une importance et un rôle à jouer. Je ne suis pas du tout pour dire l'État doit tout gérer et les associations ne doivent pas s'impliquer. Mais je pense par contre que ce n'est pas normal de demander à des associations qui sont en plus elles- mêmes subventionnées par l'État de répondre à des besoins urgents et surtout à des besoins structurels. Pour revenir à ta question, je pense que sur la question démocratique particulièrement, il faut qu'il y ait un engagement des associations, des responsables politiques. Je suis désolée, mais en France, on devrait avoir une ligne budgétaire sur la question de la démocratie. On ne finance aucune action. Aujourd'hui, on n'a quasiment rien qui est fait sur la question démocratique. Je ne veux pas rentrer dans les détails du SNU, etc, qui est vu comme la manière d'amener la question civique aux jeunes. Est-ce que tu peux juste expliquer le SNU ? Le Service national universel qui est en gros un mini service militaire avec le V de drapeaux pour les jeunes. Je pense qu'honnêtement, pas pour moi qu'il n'est pas intéressant de financer des projets qui permettent aux jeunes de se retrouver, d'échanger, d'avoir un... Je n'ai pas envie de rentrer dans ce sujet parce que c'est un sujet technique sur lequel je pense qu'il y aura beaucoup à dire. Mais par contre, de mettre de l'argent sur les structures démocratiques que sont la liberté de la presse, l'indépendance de la presse, la liberté associative. Aujourd'hui, on a quand même une situation où on a remis en cause l'existence ou la neutralité de la plus vieille association sur les questions des droits de l'homme qui est la LDH chose. Je pense qu'il faut qu'on se pose des questions. La question aussi qui m'intéresse, qui est la question de la participation civique et qui est la question de l'inclusion dans l'espace politique au plus long terme. Il faut que l'État fasse son travail, il faut que les associations participent. Et après, j'ai envie aussi d'en profiter puisque tu me poses la question, il faut aussi pour moi, que les entreprises participent. Et donc, on a un de nos financeurs principaux et cofondateur qui s'appelle Daniel Sachs, qui est un Suédois, qui est un entrepreneur lui- même, qui met une part de son argent et du bénéfice qu'il fait de son travail dans le financement de la démocratie en Europe et qui nous a permis aussi de structurer la formation multitude.
[00:38:04.030] - Sarah Durieux
Il dit quelque chose de très simple, c'est qu'il dit qu'en fait, les entreprises aujourd'hui, elles bénéficient de l'État démocratique. Elles peuvent opérer dans un État démocratique, elles peuvent générer des bénéfices dans un État démocratique. À quel moment ce n'est pas aussi la responsabilité des entreprises de maintenir un État droit et un État démocratique ? Moi, je pense que ça l'est. Et je pense que oui, forcément, on se pose toujours la question des liens entre entreprises et politique, mais il y a des moyens. En tout cas, nous, c'est le genre de choses sur lesquelles on travaille et qu'on finance. Il y a des organisations, il y a de l'infrastructure démocratique à financer et je pense que c'est important que les entreprises le fassent. Aujourd'hui, il y a des entreprises allemandes, leur fondation d'entreprise, pas directement l'entreprise elle- même, qui le font. Il y a des entreprises aujourd'hui françaises qui agissent sur la question, par exemple, de l'inclusion. Pourquoi on n'a pas aujourd'hui des entreprises qui, dans leurs fonds philanthropiques aussi, se disent « En fait, il faut qu'on mette de l'argent dans la démocratie.»
[00:38:54.110] - Fouad Souak
Ça n'existe pas du tout, ça.
[00:38:55.460] - Sarah Durieux
Non, quasiment pas.
[00:38:56.360] - Fouad Souak
On finance le patrimoine, on finance le sport, on finance l'accompagnement, on finance l'éducation.
[00:38:57.820] - Sarah Durieux
On finance l'éducation, on finance la santé, on finance éventuellement. Mais tout ce qui est de l'ordre de la participation civique ou du développement du pouvoir citoyen, je suis désolée de le dire, mais pour la France, il n'y a quasiment personne. Nous, c'est le travail qu'on fait de de parler de ce sujet- là avec ces organisations. Aussi parce que s'il n'y a pas d'espace démocratique, il n'y a pas de santé pour tous, il n'y a pas d'éducation pour tous, il n'y a pas de droits humains, etc.
[00:39:24.160] - Fouad Souak
C'est super intéressant ce que tu dis là et important parce que, évidemment, autour du plaidoyer des actions citoyennes, il y a des enjeux énormes, tu l'as dit, liberté d'expression, mais aussi à la mesure de l'impact aussi, savoir comment tout cela a des implications concrètes sur le terrain. De financement, on a vu cette semaine, aujourd'hui ou hier, la fondation de George Shultz, qui a été reprise par son fils à Ajaccio, qui s'appelle Open Society Foundation, je crois, premier contributeur en Europe, peut- être même dans le monde, sur la question de la démocratie. C'est complètement délirant. Ils mettent 1,5 milliard de dollars sur la table chaque année. Je crois que depuis la création, c'est quelque chose comme 15 milliards. Et des responsables associatifs européens de l'Ouest disaient « C'est oh mon Dieu la fondation va réorienter ses fonds sur d'autres programmes » parce que le FIS va réorienter sur d'autres programmes. Mais aujourd'hui, on n'aura plus avec le départ de cette fondation, de financement qui vise à promouvoir les questions démocratiques. Tu l'as répété aussi, l'inclusion, etc. Mais moi, ce que je trouve délirant, en vérité, c'est de constater qu'il n'y a pas d'alternative. D'alternative, pardon, excuse- moi à des financements privés d'une fondation, même étrangère, américaine, mais peu importe sur les origines, sur des pays d'Europe de l'Ouest, des pays occidentaux et de pays comme la France ou l'Allemagne, qui sont des pays démocratiques depuis si longtemps temps, parfois de la démocratie, si on ne remonte pas à l'Antiquité.
[00:41:05.720] - Fouad Souak
Peu importe, je trouve ça complètement délirant.
[00:41:08.560] - Sarah Durieux
Je pense que ce choix stratégique de désinvestir en grande partie d'Europe et de la France, c'est et en particulier l'Europe de l'Ouest, qui vont garder quand même quelques trucs en Europe centrale, mais ça va être très limité par rapport à ce qui a été fait jusqu'ici. Ça prouve la nécessité de développer d'autres sources de financement. C'est toujours la même chose. Les écosystèmes, il faut plus de gens, plus d'hivers pour avoir plus de résilience. C'est pareil sur les financements. On a besoin d'avoir beaucoup plus de sources de financement pour ce travail- là.
[00:41:42.330] - Fouad Souak
On va continuer, je vais te laisser, mais franchement, je te jure, je trouve ça délirant. Super article dessus dans Le Monde. Ils expliquaient qu' en Europe de l'Ouest, sur ces 1,5 milliard de dollars, c'est 200 millions d'euros de budget sur l'Europe de l'Ouest et que très souvent, les financements de la Commission européenne venaient compléter ou abonder un peu les projets à portée démocratique, notamment de démocratie ouverte, etc, et qu'évidemment, l'Union européenne n'était pas en mesure de combler l'écart lié à ces orientations stratégiques.
[00:42:18.740] - Fouad Souak
Vous faites comment ?
[00:42:20.780] - Sarah Durieux
Justement, on fait quoi ? Aujourd'hui, il y a beaucoup de ressources, il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup d'argent qui n'est pas investi dans la philanthropie en France en général et pas investi dans la démocratie en particulier. Je parle de la France, mais j'ai envie de dire au niveau européen. C'est marrant parce qu'on parle beaucoup d'autonomie stratégique des pays et on se dit « Il faut qu'on soit indépendant sur nos sources d'énergie.
[00:42:40.010] - Fouad Souak
Sur l'alimentation.
[00:42:41.350] - Sarah Durieux
Sur la question démocratique, c'est la même chose. C'est-à-dire qu'on ne doit pas le départ d'un acteur comme celui-ci. Forcément, avec l'échelle, ça a forcément un impact, mais on ne devrait pas se retrouver, et pour les associations qui sont directement concernées, sans aucune autre source de financement. C'est pour ça que moi, honnêtement, j'ai aussi été intéressée par Rejoindre à Multitude, parce que notre but, c'est aussi de développer les sources de financement. D'ailleurs, qu'elles passent par multitude ou directement à des projets. Nous, on veut juste débloquer ces financements. Du coup, il y a une responsabilité dans les pays européens de mettre de l'argent, on l'a dit, public, mais aussi privé, parce que la réalité est telle qu'aujourd'hui, on a besoin d'avoir des acteurs privés qui mettent de l'argent dans ces projets philanthropiques. Puisque tu fais référence au fonds, au financement européen, juste pour donner un exemple, pour une association qui veut faire appel à un financement européen pour un projet, je vais dire en gros et c'est schématique et ce n'est peut- être pas pour tous les projets, mais entre le montage du projet, la revue du projet par la commission et le moment où il y a où les fonds arrivent, parfois, c'est un an et demi à deux ans.
[00:43:47.690] - Sarah Durieux
C'est aussi pour ça que la philanthropie privée est importante parce qu'en fait, la philanthropie privée peut débloquer plus facilement, plus rapidement des fonds pour des projets.
[00:43:55.140] - Fouad Souak
Moins administratifs. Moins de paperasses.
[00:43:56.590] - Sarah Durieux
Exactement. Après, on peut poser la question à quel point les fonds publics pour le financement en général des associations et des projets à impact ou sociaux doivent être facilités, doivent être plus fluides, ça, c'est certain. Il faut savoir aussi que la plupart des associations, on a beaucoup parlé de l'effet de l'inflation sur les fonds sur les ménages. Mais aujourd'hui, beaucoup des associations qui aussi fonctionnaient avec des fonds très limités ont été très impactées par l'inflation et donc leur capacité d'action est aussi très impactée. Les dotations publiques, ne serait- ce que pour la France, ont énormément diminué. Tout ça crée quand même des conditions pour la disparition de ce maillage, cet écosystème associatif qui est fondamental pour nos sociétés, pour accompagner nos personnes les plus fragiles, mais aussi pour développer notre démocratie. Moi, je pense que vraiment, l'objectif, c'est quand même que la philanthropie en soi, à terme, n'est pas la solution à tout, mais qu'aujourd'hui, c'est une solution intermédiaire pour permettre de pallier cette la situation et que, par contre, on a vraiment besoin d'avoir des philanthropies européennes. Et nous, c'est pour ça que, vraiment, on passe beaucoup de notre temps à parler à des fondations d'entreprises, à des fondations familiales, aussi à des individuels qui ont parfois une fortune dont ils n'ont pas conscience de l'impact qu'elle peut avoir si elle est investie pour des projets sociaux.
[00:45:21.490] - Sarah Durieux
On leur dit « En fait, il y a un sujet qu'il faut investir, c'est le sujet de la démocratie.»
[00:45:25.300] - Fouad Souak
Quand tu parles de l'implication des entreprises dans le financement des projets, des actions suite à la société civile, des associations, des fondations et en particulier fléchées vers des projets de démocratisation. Moi, spontanément, je pense à cette tendance utile importante des sociétés, j'en parle souvent dans le podcast, des sociétés à impact, des sociétés à mission et qui très probablement, essaient d'avoir une dimension, et elle est importante, environnementale, climatique, parce que c'est vrai que c'est un sujet extrêmement important. Et qui est probablement la problématique plus importante. On parle de la planète, on parle quand même de l'avenir de nos civilisations. Mais je pense que tout juste après, en vérité, il y a la question de la démocratie. Parce que la question de la démocratie, tu l'as citée tout à l'heure, c'est l'accès à l'éducation, l'accès à la santé, c'est la protection sociale, c'est les services publics, etc. Et puis, on aura toujours de meilleurs services publics si on a une démocratie qui fonctionne mieux. Donc est- ce que Multi-Foundation accompagne aussi cette nouvelle typologie d'entreprises, pas simplement dans la manière dont elles drivent leurs activités économiques, grâce aux revenus générés par leurs activités économiques, essayer de participer et d'alimenter financièrement les associations dédiées à la démocratisation ?
[00:46:50.110] - Sarah Durieux
Nous, pour l'instant, notre modèle, c'est plutôt un modèle not-for-profit. Notre philanthropie va à des associations ou des organisations enregistrées comme telles. D'abord parce que puisqu'on a parlé de philanthropie, il y a des restrictions dans la manière dont les fonds philanthropiques peuvent être utilisés. On n'a pas la possibilité de faire cet investissement dans des entreprises. Je pense qu'il y a une question fondamentale, c'est de dire qu' une entreprise, en général, a la capacité à développer un modèle économique et elle a la capacité aussi à lever des fonds dans des espaces différents. Et donc, nous, notre idée, c'est aussi d'amener sur l'espace de la société, de la philanthropie des ressources. Ça, c'est peut- être ma réponse. Mais ça ne veut pas dire pour autant que je ne pense pas que c'est nécessaire d'avoir des entreprises qui travaillent sur les questions aussi démocratiques et qu' il y en a déjà certaines. Toutes les entreprises qui travaillent sur les questions de concertation avec des élus locaux, ils participent au travail démocratique.
[00:47:46.790] - Fouad Souak
Ils ont une mission.
[00:47:48.200] - Sarah Durieux
C'est une mission. Après, je pense que c'est très intéressant de regarder les travaux que font les gens qui travaillent sur la question de l'entrepreneuriat social. Moi, ce n'est pas ma spécialité, mais ce que fait le mouvement Impact France, par exemple, est intéressant. Q uand on parle d'entrepreneuriat social et d'entreprises qui répondent à un besoin sociétal, c'est aussi bien que ça se fasse dans le cadre d'une typologie qui soit claire, aussi pour que ça permette à chacun d'aller plus loin et de faire mieux. Nous, ce n'est pas notre focus, le développement d'entreprises. On va être beaucoup plus sur le développement d'idées issues de collectifs, associatifs, militants, etc. Mais c'est intéressant et c'est quelque chose qu'on peut réfléchir, notamment dans tout ce qui est la Civic Tech, par exemple. Tu as beaucoup d'organisations challengées et peuvent être apparentées à une forme de Civic Tech. Mais puisque notre réflexion, c'est d'agir sur des gens qui n'ont pas accès à des ressources, a priori, les entreprises ont un modèle économique qui leur permet de développer des ressources. C'est moins là.
[00:48:43.650] - Fouad Souak
Ma question, c'était davantage de voir Multitudes Foundation. En tout cas c'est une question. Peut- être que je me suis mal exprimé. De voir Multitudes Foundation comme le pont entre les actions civiques.
[00:48:56.990] - Sarah Durieux
Et les entreprises qui veulent investir.
[00:48:58.820] - Fouad Souak
Notamment à impacte qui vous voudrait investir ce domaine là.
[00:49:01.120] - Sarah Durieux
Oui, c'est ce que je disais. Nous, on parle beaucoup avec les bras de philanthropique des entreprises. Il y a beaucoup d'entreprises aujourd'hui, des grands groupes qui ont des fondations, qui se mobilisent sur différents sujets. Nous, on leur propose justement d'expérimenter qu'est- ce que ça veut dire d'investir dans l'espace démocratique et dans une politique qui fonctionne plus efficacement. O n a des partenariats que je ne peux pas annoncer pour l'instant, mais qui vont arriver. Je crois qu'il y a quelque chose qui est assez intéressant pour revenir à la question de la philanthropie et du départ d' Open Society Foundation. Je voulais juste mentionner, puisque j'y repense maintenant, par rapport à l'intervention potentielle des entreprises ou des individus ou des familles qui ont du capital disponible pour aider sur ce sujet. Il faut savoir qu'il y a un rapport qui est sorti, qui est hyper intéressant, qui s'appelle « La partie émergée de l'iceberg », je crois, ou quelque chose comme ça, et qui montre qu'il y a des mouvements antidémocratiques contre l'égalité de genre et sur des sujets qui développent la polarisation de la société, qui investissent massivement. Ce sont des familles, principalement, des individus.
[00:50:09.340] - Sarah Durieux
Au niveau mondial, c'est 700 millions de dollars. Ça, c'est pour l'année... Je ne me rappelle plus pour l'année exacte. Il faut savoir que le premier contributeur de ces mouvements, principalement anti-genre, anti-immigration, est un Français.
[00:50:25.350] - Fouad Souak
Qui ça ? On veut des noms.
[00:50:26.970] - Sarah Durieux
Lejeune, monsieur le jeune. Et donc, on pourra mettre le document en référence si tu veux. Je pense que c'est important de comprendre que... Je n'arrête pas de dire qu'il n'y a pas d'argent, il n'y a pas d'argent. En fait, il y a de l'argent, mais qui va forcément dans le sens du développement de la démocratie et de la dignité pour tous. Et donc, d'être conscients à la fois de la nécessité d'investir pour un espace démocratif et inclusif, mais aussi qu' en attendant, il y a déjà des mouvements qui sont en place. Et ce qu'on voit, c'est que ces financements, ils émanent de la France, ils émanent de la Russie, ils émanent des États-Unis, ils émanent de plein de pays en Europe, mais ils sont coordonnés, ils sont ont réfléchi ensemble. Et donc, c'est important aussi pour nous, en tant qu' européens, mais aussi plus largement au niveau global, de réfléchir à ces stratégies collectivement. C'est très important de réaliser que souvent, on dit « non, on ne veut pas se mêler parce qu'on ne veut pas avoir un impact, on ne veut pas influencer le débat démocratique ». Le débat démocratique, il est déjà influencé par des investissements financiers massifs.
[00:51:23.940] - Sarah Durieux
Nous, notre question, c'est de dire « ce n'est pas influencer, c'est d'équilibrer, de participer à l'équilibre d'une pratique démocratique en investissant justement ces espaces- là. Je redonnerai la référence dans mon podcast, mais je pense que c'est important que les gens réalisent.
[00:51:39.450] - Fouad Souak
Cela aussi. Ça, c'est la grande question. Est- ce qu'aujourd'hui, on n'a pas de tendance et on revient toujours autour des entreprises, des familles fortunées qui ont les leviers financiers d'action pour venir en aide aux associations, et notamment sur la question de la démocratisation. Est- ce que en France, culturellement, on ne se dit pas « On n'y va pas » ? Est- ce que c'est trop techie ? Est- ce que c'est trop politique ? Est- ce que les acteurs économiques ont plutôt tendance à dissocier le business de la politique et que tout le monde s'occupe de son secteur d'activité et puis on en reste là. Et si d'aventure, on a envie de faire de la philanthropie, on le fait quand même sur des sujets moins politiques.
[00:52:22.480] - Sarah Durieux
Bien sûr. Franchement, c'est compréhensible. C'est plus facile de faire de la philanthropie sur la question de nettoyer les déchets sur la plage plutôt que de financer un nouveau mouvement qui permet à des gens d'exercer leur pouvoir localement, par exemple, dans une mobilisation contre des projets néfastes, par exemple. Donc, je comprends à quel point... Et ça, ce n'est pas moi qui l'ai dit, on l'a dit 1 000 fois avant, mais finalement, aujourd'hui, on est quand même dans une situation où la neutralité, c'est un choix politique. L'inaction, c'est déjà un positionnement politique. Si vous marchez dans la rue et que quelqu'un est en train de se faire taper dessus et que vous vous dites « Moi, je suis neutre. » Vous avez fait un choix politique, c'est- à- dire que vous avez décidé de laisser cette personne aussi seule et isolée.
[00:53:14.360] - Fouad Souak
D'abord, dans une question hyper délicate parce que c'est évidemment celle de l'abstention. Quand on voit d'élection présidentielle en élection présidentielle, d'élection législative en élection législative, il y a une grosse partie de la population qui a décidé d'arrêter de se déplacer, qui a décidé d'arrêter de d'aller voter, que ça modifie considérablement les forces en puissance, sans compter ces mouvements de financement d'actions populistes, que j'ai qualifié de populistes.
[00:53:43.970] - Sarah Durieux
Je ne mettrais pas les deux sur le même plan, pour être honnête, parce que là, la référence que je faisais à toi, c'est des gens qui ont du pouvoir et qui décissent de ne pas utiliser leur pouvoir dans une situation d'injustice. Pour moi, ce n'est pas la même chose que des gens qui décident de ne pas aller voter parce qu'ils ont l'impression- Ça pourrait être considérable.
[00:53:59.160] - Fouad Souak
On a aussi un a un bulletin de vote.
[00:54:00.100] - Sarah Durieux
Oui, c'est un pouvoir considérable, mais aussi un bulletin de vote. Oui, c'est un pouvoir considérable. Moi, je ne suis pas du tout dupe sur le fait que c'est important que les gens votent.que c'est important que les gens votent. Je pense qu'il faut inciter les gens à voter. Mais par contre, j'essaie de comprendre d'où vient le désintérêt. Je pense que l'action politique, elle n'a pas prouvé pour beaucoup de gens d'avoir un impact pendant longtemps. Si vous avez l'impression que faire quelque chose, ça ne sert à rien, vous allez pas forcément vous déplacer. Et puis après, il y a une autre partie de l'abstention, et ça, les études le montrent, qui est aussi une forme de refus de participation volontaire. C'est-à-dire que c'est un acte politique. Pour beaucoup de chercheurs sur ces questions, l'abstention n'est justement pas une apathie, c'est un acte politique délibéré. Pour moi, il y a un peu une différence de ce point de vue- là, de se dire qu'aujourd'hui, les gens qui ne s'engagent pas dans l'espace politique, c'est parce qu'ils n'y trouvent pas des réponses, ils n'y trouvent pas une incarnation qui répond à leurs attentes ou parce qu'ils considèrent que ça n'a pas d'impact. Je trouve que c'est important de se poser la question de quel pouvoir on détient, justement, nous.
[00:54:55.740] - Sarah Durieux
Quand je dis « nous », je m'inclus parce que je travaille dans une organisation qui détient du pouvoir finalement, puisqu'elle détient des fonds, mais quand on détient du pouvoir, qu'est- ce que nous, on peut faire justement dans ces situations d'injustice ? À quel point on peut s'engager ? Je parlais aujourd'hui avec une personne qui est issue d'une famille très bourgeoise, qui me disait en rigolant qu'elle dit « vous » à ses parents. E n fait, elle me disait « Moi, aujourd'hui, je sais que je dessine un certain pouvoir, un certain accès à des personnes qui elles- mêmes ont du pouvoir et que j'ai envie de savoir comment est- ce que je peux utiliser ce pouvoir pour avoir un impact. » C'est de ça que je parle, c'est- à- dire comment chacun d'entre nous qui avons un certain niveau de pouvoir, un certain niveau de ressources, on peut se dire « c'est quoi ma contribution ? » Tout le monde peut être activiste, tout le monde n'a pas besoin d'aller s'enchaîner sur des barrières ou de se coller les mains sur l'autoroute, qu'on peut tous, mais par contre, à son niveau, on peut tous réfléchir à ce qu'on peut faire et en particulier quand on a du pouvoir, quand on est chef d'entreprise, quand on est responsable d'un budget de philanthropie, quand on est responsable d'un budget de philanthropie, quand on est responsable d'un budget de philanthropie, quand on travaille avec des clients qui peut- être font des choix qui, on pense, vont être néfastes pour beaucoup de personnes ou pour simplement l'avenir de la planète.
[00:56:03.300] - Sarah Durieux
Je trouve qu'on a tous le moyen de faire des choses et donc c'est important de se poser la question de à quel point on prend ce que certains qualifient comme des risques. Moi, j'appellerais plutôt ça des responsabilités dans la situation dans laquelle on est aujourd'hui. Particulièrement sur la question démocratique, je déteste faire l'oiseau de malheur, mais il faut quand même voir ce qui se passe aujourd'hui dans notre pays, en Europe et être conscients de la situation dans laquelle on est et du fait qu'on doit tous participer et tous s'engager à prendre nos responsabilités.
[00:56:32.220] - Fouad Souak
Multitude Foundation, c'est une organisation un peu décentralisée à dimension européenne. Tu peux nous en parler un petit peu, de son fonctionnement, sa gouvernance, ses actions ?
[00:56:41.500] - Sarah Durieux
La fondation a été officiellement lancée en juin 2023, cette année. O n est une organisation très petite pour l'instant. On est quatre salariés basés entre Paris, Berlin, Madrid et Londres. On a un board of directors, donc un conseil d'administration qui est constitué de deux personnes personnes qui sont en Suède, en Allemagne et en Angleterre, si je ne dis pas de bêtises, oui, je sais d'où les personnes, et qui est constituée à la fois d'activistes, mais aussi de philanthropes et de personnes qui ont travaillé dans la philanthropie sans être elles- mêmes détentrices de capital. Ce qu'on essaie de faire, c'est de se dire qu'on veut construire un écosystème européen, ou plutôt construire un écosystème, construire une communauté d'actions européenne autour de ces questions, puisque l'écosystème, il existe, mais comment est- ce qu'on crée du lien entre toutes les personnes qui travaillent sur ces sujets un peu partout en Europe ? Tout simplement parce que le playbook, comme on dit, du travail antidémocratique, il est le même partout en Europe et aussi sur les questions politiques. O n voit la valeur de faire travailler ensemble des gens, qu'ils soient en Slovénie, en France, en Italie ou en Grèce, sur la manière dont on rend la politique plus efficace, plus inclusive et plus humaine.
[00:57:47.410] - Sarah Durieux
Nous, on fait deux choses. On fait de la mise en relation, de la mise en réseau. On anime cette communauté de pratiques pour réfléchir à quelles sont les stratégies les plus efficaces à mettre en place et on distribue des fonds pour que les gens puissent mener les projets qui ils décident de mener dans le cadre de ces réflexions sur une politique plus inclusive.
[00:58:03.850] - Fouad Souak
Est-ce que ça va chercher quand même une forme de normalisation du modèle démocratique en Europe ? Parce que j'imagine bien que le modèle démocratique en France, en Suède et en Slovénie, en Allemagne, il est très différent.
[00:58:16.280] - Sarah Durieux
Oui. C'est pour ça qu'on s'attache vraiment au point d'entrée. Nous, c'est notre théorie du changement, comme on l'appelle en bon activiste. La théorie du changement, c'est quoi notre chemin vers le changement effectif ? N ous, notre théorie du changement, c'est de se dire que chaque système politique est différent, mais qu'il y a des barrières systémiques à l'inclusion en politique qui sont les mêmes partout. P our nous, le point d'entrée, c'est de dire qu' une démocratie ne peut pas fonctionner sans une vraie représentativité. C'est vraiment notre point d'entrée et c'est pour ça qu'on choisit d'agir principalement auprès de personnes qui travaillent sur des initiatives pour rendre la politique plus représentative et plus inclusive. C'est vraiment cette idée que si on veut résoudre tous les challenges auxquels on fait face en tant que société, le meilleur moyen, c'est d'avoir une démocratie véritablement inclusive, véritablement représentative de plusieurs points de vue, de plusieurs perspectives et de sortir d'une forme d'homogénéité du pouvoir politique. Pour faire ça, finalement, notre point de départ, c'est d'abord, on a fait une recherche, auprès d'une soixantaine de personnes qui agissent sur ces sujets partout en Europe. Ce qu'on a vu, c'est que les barrières systémiques à ce changement sont les mêmes à peu près dans tous les pays.
[00:59:26.450] - Sarah Durieux
Je vais les citer rapidement, juste pour que tu vois ce que c'est. C'est tout ce qui est des systèmes — je fais la traduction de l'anglais au français en même temps que je te le raconte - des systèmes excluants avec, on le sait, le sexisme, le racisme, le racisme, donc ça qui ne sont pas spécifiques à la politique, mais qui sont très impactants dans la manière dont le leadership politique se constitue. Le deuxième, c'est la culture politique, c'est- à- dire partout en Europe, la culture politique, c'est une culture de la compétition, de l'isolement, d'une forme de corruption, donc un système politique qui ne fonctionne pas efficacement et avec une culture qui est une culture violente, excluante, etc, qui est vraiment spécifique à la culture politique. Et après, les autres éléments qu'on a vu, c'est finalement l'expertise à la fois de la conquête et de l'exercice du pouvoir qui est finalement très peu développée. Il y a très peu de gens qui, si demain ils décident de participer dans un processus électif, savent comment faire campagne, comment gérer un compte de campagne, comment exercer le pouvoir une fois élu. Donc, il n'y a pas de formation sur ces questions-là.
[01:00:30.090] - Sarah Durieux
Et enfin, la dernière chose qu'on a identifiée, c'est le manque de financement. Nous, on arrive avec le financement pour aider ces acteurs à soulever toutes ces différentes barrières à l'exécution de leur travail. En gros, c'est pour ça que chaque système est différent. Bien sûr que le système politique croate ne fonctionne pas exactement pareil que le système politique hongri ou que le français. Mais par contre, les acteurs à qui on parle, qui sont vraiment intéressés par la question de l'inclusion et de la représentation politique, ils disent tous les mêmes... Ils parlent tous des mêmes structures et donc c'est sur ces sujets- là.
[01:01:00.850] - Fouad Souak
Qu'on travaille. Oui, parce que vous substituez quand même, et ça a été tout le sujet du début du podcast, sur le rôle des partis politiques à tenter de former les citoyens à l'action civique. Mais pour ça, il faut en être acculturé, il faut être formé, il faut avoir adopté les bonnes pratiques. Il faut d'ailleurs aussi que les partis politiques et les associations utilisent des bonnes pratiques. Ce n'est pas toujours le cas, notamment en termes de financement, en tout cas pendant longtemps. Je pense qu'il va nous manquer un petit peu de temps pour aborder toutes ces questions absolument passionnantes, mais je pense qu'on va quand même finir avec un sujet qui est celui de la prise de parole dans l'espace médiatique et de la place aujourd'hui que des citoyens lambda peuvent avoir dans les médias, à la télé, dans le monde. Quelles sont les difficultés aujourd'hui que tu vois à cela ? Est- ce que c'est décourageant aussi de voir que les places dans les colonnes de presse peuvent être trustées ? C'est quand même relativement difficile de faire entendre sa voix. C'est aussi un rôle que vous jouez. C'était aussi probablement le rôle de Change. Org. C'est quoi ta conception de ce.
[01:02:18.050] - Sarah Durieux
Sujet-là ? Oui. Là, en ce moment, je travaille spécifiquement sur la question du pouvoir politique et de l'homogénéité dans le pouvoir politique. Je pense que dans l'espace médiatique, c'est la même chose. On voit qu'il y a un vrai problème de représentation à la fois des expériences vécues par les personnes, du fait qu'aujourd'hui, on a très peu de personnes qui sont des personnes issues d'immigration, par exemple, qui sont présentes dans les espaces médiatiques. Il y a d'ailleurs une association qui vient d'être créée à ce sujet, qui veut travailler sur la représentativité des personnes racisées, particulièrement dans l'espace médiatique. Après, il y a une vraie question aussi de quels sont les codes ? Moi, personnellement, je moi, j'ai tenté l'expérience éditorialiste pendant un temps. J'avais participé aux Informés sur France Info et franchement, c'était hyper intéressant de voir à quel point, finalement, c'est un modèle de prise de parole politique qui n'est pas du tout aisé, qui n'est pas du tout facile. Je ne sais pas si les gens qui écoutent ont déjà fait ça, mais en gros, on vous appelle à 13h00 pour vous dire « À 19h00, tu arrives et tu vas parler sur cinq sujets dont tu n'as peut- être jamais entendu parler."
[01:03:25.640] - Sarah Durieux
Il y a toute une méthodologie de préparation. Moi, j'avais eu la chance d'avoir une formation au média trading qui avait été super utile pour moi. Je pense qu'il y a vraiment à la fois une reproduction sociale de qui est visible et qui prend la parole, mais il y a aussi des codes spécifiques qu'on doit pouvoir acquérir. Ça, il y a plein d'écoles qui font le travail. Pour ceux qui connaissent Rokaya Dialo, qui est quand même une des seules femmes noires aujourd'hui présentes dans plein de médias et qui amènent une perspective assez intéressante de ce point de vue- là, elle a créé une école qui s'appelle l'École World, qui travaille vraiment sur l'accompagnement à la prise de parole des personnes justement surtout sous- représentées dans les espaces médiatiques. Je pense qu'il y a pas mal de travail qui est fait là- dessus, mais pour moi, ça pose aussi la question de la gestion post passage. Pour moi, l'enjeu, et ça, c'est un vrai sujet démocratique pour moi, c'est ce qui est de l'ordre du harcèlement et de la violence en ligne des personnes qui prennent la parole publiquement. Moi, personnellement, j'ai déjà eu...
[01:04:24.230] - Fouad Souak
Qu'on décrédibilise...
[01:04:25.180] - Sarah Durieux
Qu'on décrédibilise, mais surtout qu'on harcèle et qu'on menace. Je trouve que c'est assez intéressant de regarder-
[01:04:30.570] - Fouad Souak
Tu l'as vécu ?
[01:04:31.830] - Sarah Durieux
Moi, je l'ai vécu aussi. Pourquoi ? Est-ce qu'on ne peut pas prendre plus de risques ? Je pense qu'en tant que femme, quand on prend la parole dans l'espace public, encore aujourd'hui, il y a beaucoup de gens qui trouvent normal de vous envoyer soit des propositions indécentes, soit carrément des menaces de viol, soit des gens qui, forcément, du fait que vous êtes une femme, vous vous dire « Tu n'as rien compris, tu ne sais pas, tu n'as pas les éléments. » Il y a quand même beaucoup de violences, en particulier contre les femmes. Il y a beaucoup de rapports et je n'ai pas les chiffres, donc je ne voudrais pas dire n'importe quoi, mais il y a beaucoup de rapports qui prouvent que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans l'espace médiatique. Et du coup, par réflectivité, ce qui se passe dans l'espace médiatique crée de la violence sur les réseaux sociaux qui ont un impact sur la prise de parole en public des femmes et en général des personnes minorisées dans l'espace public.
[01:05:14.070] - Sarah Durieux
Ça peut être vrai pour d'autres groupes que les femmes. Et donc, ça a un impact sur la démocratie aussi. C'est- à- dire qu'aujourd'hui, si on ne se sent plus à l'aise de donner son opinion ou de parler parce qu'on a peur du harcèlement en ligne, ça crée un retrait de l'espace public de beaucoup de gens. Pour moi, il y a tout un travail à faire sur accompagner les gens qui veulent aller prendre la parole, mais aussi tout un travail à faire qui est pour moi un travail culturel de fond, qui n'est pas facilité par la manière dont les réseaux sociaux fonctionnent aussi. De comment est- ce qu'on arrive à se reparler ? D'abord, comment est- ce qu'on lutte contre le harcèlement organisé ? Parce qu'il faut savoir aujourd'hui qu'il y a un vrai harcèlement organisé, notamment par des mouvements sexistes, qui luttent contre les droits des femmes, mais aussi des mouvements racistes. On l'a vu, on on a eu plein d'exemples là- dessus, qui ont trouvé comme stratégie d'utiliser la dévalorisation des personnes qui prennent la parole pour am oindrir à l'impact politique de leurs prises de parole. Il y a vraiment un travail à faire d'identification de ces mouvements, de prise en charge légale et judiciaire. Et puis après, il y a tout un travail.
[01:06:21.970] - Fouad Souak
Tu sais si ce travail-là, il est mené ou pas ?
[01:06:23.980] - Sarah Durieux
Je ne suis pas trop dans le détail. Je sais qu'il y a eu beaucoup de missions, de émissions ministérielles, de réflexions de papiers et tout. Je n'ai pas l'impression que c'est facile à résoudre puisqu'en fait, c'est toujours l'équilibre dans la question « liberté d'expression versus contrôle de l'expression publique ».
[01:06:42.920] - Fouad Souak
Ceci dit, les menaces de viol, ce n'est pas.
[01:06:44.760] - Sarah Durieux
Excuse-moi, je ne veux surtout pas que ça ait l'air d'être ce que je dis. Non, je sais.
[01:06:49.990] - Fouad Souak
Je caricature un peu, mais c'est pour aller...
[01:06:52.830] - Sarah Durieux
Oui, mais du coup, le fonctionnement des plateformes, il est problématique. Mais il y a aussi une question de, à partir du moment où on demande à un acteur privé de devenir le modérateur de la discussion publique, on peut se poser des questions. Moi, je sais que pour avoir été chez Change, je n'étais pas du tout à l'aise avec le fait d'être la personne qui décidait... Je ne dis pas la seule, mais en tout cas de faire partie des personnes qui décidaient d'une pétion qui puisse rester ou non en ligne, parce que j'estime qu'on est un acteur privé. Je pense qu'il y a un vrai travail à faire pour à la fois avoir les outils législatifs, mais aussi l'infrastructure judiciaire derrière pour traiter ces questions- là, parce que la plupart des personnes qui subissent des harcèlements, leurs harceleurs ou elles ne sont quasiment jamais poursuivies. La tâche est tellement énorme. Il y a un vrai travail à faire là- dessus. Je sais qu'il y a des réflexions qui existent, mais pour moi, puisque tu poses la question de la prise de parole et comment est- ce qu'on est tous égaux dans la prise de parole, il y a cette question de l'avant.
[01:07:43.940] - Sarah Durieux
Comment est- ce qu'on peut être efficace dans la prise de parole, mais aussi de la presse. C'est- à- dire comment est- ce qu'on peut continuer à prendre la parole dans un espace public qui est parfois un peu hostile ?
[01:07:52.440] - Fouad Souak
Oui, parce que là, on l'illustre avec les médias, mais en vérité, tu fais bien de parler d' espaces publics ou de sphères publiques. Parce que l'engagement, je ne sais pas, une personne qui a envie de s'engager dans une asso ou dans sa ville, sera confrontée à ses limites. On sait que la politique locale est assez affreuse et extrêmement difficile, parce qu'en plus, ce sont des personnes que l'on connaît, donc il y a un impact sur sa vie privée qui est absolument énorme, très important. Si on fait partie d'une minorité, on n'a pas envie de se faire voir, on n'a pas envie de souffrir. Sauf à avoir une personnalité et puis avoir une vision qui veut envie de changer les choses au détriment de sa santé mentale et physique.
[01:08:36.340] - Sarah Durieux
Justement, j'ai organisé un atelier avec des femmes politiques ou qui veulent aller en politique il y a quelques temps, je te parlais tout à l'heure, et il y a une personne qui témoignait et qui disait que c'était assez intéressant, c'était que la plupart des femmes qui sont actives politiquement au niveau local, par exemple, ne peuvent plus faire leurs courses à leurs supermarchés du coin. C'est- à- dire qu'elle donnait l'exemple d'une femme qui, je ne sais plus dans quel pays c'était, mais qui faisait quasiment 20 kilos km pour aller faire ses courses parce qu'elle ne pouvait plus faire les courses dans la ville dans laquelle elle était élue, parce qu'elle souffrait de violences, de harcèlements, etc. Il y a une vraie question sur ce qui est de l'ordre du digital, mais il y a aussi ce qui est de l'ordre du réel. D'ailleurs, le digital est réel et je pense que c'est important de le rappeler parce que c'est aussi une des raisons pour lesquelles les gens se permettent d'avoir des comportements violents, c'est qu'il y a une espèce de déconnexion. La personne à qui tu envoies une insulte est une vraie personne et tu es en effet en train de la blesser.
[01:09:27.590] - Sarah Durieux
C'est important de faire ce travail et de faire réflexion sur les réseaux sociaux, sur comment se crée une culture différente. Ça revient à la question de la polarisation de la violence dans nos sociétés aujourd'hui, mais aussi comment réglementer et régulariser ces questions importantes.
[01:09:40.010] - Fouad Souak
Tu as des conseils pour ces personnes. Je sais que c'est tout le travail que tu mènes. Tu ne peux pas résumer ça, évidemment, en quelques mots, mais comment on peut amener, encourager les personnes issues des minorités à s'engager, à agir ? Comment on fait pour lever chez eux ces barrières qui sont extrêmement lourdes à lever ?
[01:10:00.780] - Sarah Durieux
Moi, je n'ai pas du tout une approche individualisée. C'est-à-dire que pour moi, le but, ce n'est pas de leur dire « Vas- y, vas- y, vas- y, tu peux y aller. » Je pense qu'au contraire, il faut créer les conditions pour que les personnes puissent le faire. C'est pour ça que ça m'intéresse plus de travailler sur des initiatives qui, structurellement, sont effectives. Oui, rendent la prise de parole et la participation en général plus facile. C'est pour ça que pour moi, il y a ce qui est de l'ordre de l'individu et du développement du savoir- faire. Mais pour moi, c'est tellement la toute petite partie de l'iceberg. Je pense que c'est important pour le travail qu'on fait en général, d'ailleurs pas que sur les questions de la politique et de la démocratie et de la participation, de ne pas prendre uniquement en compte la responsabilité individuelle de la personne dans le fait de faire changer les choses, mais comment est- ce qu'on change les choses structurellement, structurellement, pour que les gens puissent y aller. Structurellement, pour que les gens puissent y aller. Je rigolais, une autre fois, je parlais et je faisais un peu une métaphore, je ne sais pas quelle qualité elle est, avec une amie qui me disait « Du coup, il faut pousser des gens à aller en politique, à se présenter, etc.
[01:10:58.720] - Sarah Durieux
Moi, je dis Au pire, plutôt que de pousser des gens à rentrer dans le feu, je préférerais qu'on éteigne le feu et ensuite, ils auront plus facilement envie d'y aller. Je pense que c'est vraiment le sens, c'est de se dire-.
[01:11:07.440] - Fouad Souak
Qui éteint le feu ?
[01:11:07.850] - Sarah Durieux
Le feu, on l'éteint collectivement avec ces initiatives qui permettent de changer notre culture politique, qui permettent de changer notre culture politique, qui permettent de changer notre système d'organisation collective dans les espaces politiques pour que ça soit beaucoup plus accueillant et beaucoup.
[01:11:19.740] - Fouad Souak
Plus facile de faire. On a plus des ressorts individuels aussi. C'est quand même la capacité individuelle à s'engager, à rejoindre ses collectives, à essayer de mobiliser aussi autour de soi, à convaincre d'autres de rejoindre sa cause.
[01:11:33.020] - Sarah Durieux
Oui, bien entendu. Ça, je suis complètement d'accord, mais c'est juste pour dire je ne crois pas au fait de responsabiliser une personne, de pousser la responsabilité sur une personne de l'ensemble du système politique. Je pense qu'il faut à la fois des individus qui soient prêts à y aller, il faut les accompagner, mais il faut aussi réfléchir à comment est- ce qu'on crée les conditions pour qu'ils aient envie d'y aller.
[01:11:53.220] - Fouad Souak
Très bien. Merci beaucoup, Sarah.
[01:11:54.430] - Sarah Durieux
Merci.